(Image de mon ami Christian Roux)
Allez, allez… Contextualisons
Ce article a été publié dans feu l’éphémère et pourtant excellent magazine Synopsis
Scénaristes, auteurs réalisateurs… Pour « faire son cinéma », chacun puise allègrement dans son imaginaire. Quelles sont les sources de leur inspiration ? Quelle place occupe l’imaginaire dans leur travail ? Que font-ils pour le stimuler ou le réalimenter ? Ils ont accepté de partager leurs expériences…
Au fait, l’imaginaire c’est quoi ? « Qui n’est que dans l’imagination. Qui n’est pas réel », indique le Larousse. Le surréaliste André Breton affirme le contraire : « Il existe un point de l’esprit d’où le réel et l’imaginaire, le communicable et l’incommunicable cesseront d’être perçus contradictoirement ». Pour Jacques Lacan « L’imaginaire et le réel sont deux lieux de vie ». Inventeur de son propre espace-temps, le cinéma lui a donné « spectaculairement » raison. Avec Méliès, le cinématographe devient cinéma et le 7e art bascule alors dans la dimension du « magique », du côté des dessins rupestres, des griffonnages d’enfants, des représentations sacrées, des mythes et des légendes… Psychisme humain et cinéma rentrent en résonance intime. « Le cinéma comme une promesse, un lieu de retrouvailles avec son imaginaire enfoui, refoulé, peut-être une part d’enfance perdue… », disait Serge Daney. Plongé dans le refuge de la salle obscure, le spectateur intègre son propre imaginaire dans le flux du film. Autant de films, autant de degrés d’irréalité, autant de variantes dans l’épaisseur de la couche imaginaire…
De nouvelles formes narratives…
Avec son système narratif fait de contraintes parfois très (trop) codifiées, la dramaturgie exige de l’auteur qu’il convoque en permanence son imaginaire pour (re)présenter le monde. Pour certains réalisateurs, le scénario est une étape indispensable à tout bon cinéma narratif. Pour d’autres, le scénario est perçu comme une entrave à leur imaginaire et ne doit fonctionner que comme une boussole indiquant le cap à suivre.
Journaliste cinéma du Monde Diplomatique, Philippe Lafosse a envie d’un cinéma différent « loin des contraintes commerciales qui bloquent l’imaginaire ». « La Cucaracha » (son premier long métrage) devrait sortir prochainement dans quelques salles s’il parvient à boucler le budget nécessaire au kinescopage. Un tournage ultrarapide (3 semaines en DV) avec des bouts de ficelles, des comédiens connus acceptant de travailler bénévolement, un scénario qui a volé en éclats sur le tournage… Nécessité est souvent mère de l’invention disait Platon ; Philippe Lafosse a dû puiser dans son imaginaire pour parvenir à sa (ses) fin(s) : « C’est souvent en résolvant des questions techniques dans l’urgence du tournage que l’imaginaire surgit. Pendant le montage, il m’a fallu inventer l’esthétique de mon film. Certains tableaux ou certaines musiques ont été de véritables sources d’inspiration ».
Vincent Dieutre achève le montage de « Mon voyage d’hiver », quatrième long métrage en forme de journal autobiographique fragmenté. « La musique et la poésie ont inventé ce projet comme la peinture de Caravage avait été à la base de « Leçons de ténèbres », mon film précédent. Mon imaginaire se déclenche beaucoup à partir des émotions suscitées par certaines œuvres. Au départ de ce film, il y a eu une idée, un titre, des poèmes allemands de l’après-guerre, des musiques, l’hiver comme métaphore de la glaciation de l’Histoire. Ensuite, j’emmène tout le monde dans cette construction imaginaire fragile et impalpable qui prend corps en subissant l’épreuve de la réalité du tournage. Puis au montage, je réorganise cette matière en y ajoutant la voix off pour redonner de la cohérence narrative à cet ensemble hétéroclite », explique-t-il. Scènes composées comme des tableaux, alternance de textures d’images (DV et 16 mm), désynchronisation du son et de l’image, musique de Schubert (filmée en train d’être jouée) devenant personnage à part entière, Vincent Dieutre cherche à inventer de nouvelles formes de récit, reflet contemporain de la modernité : « Ce qui m’intéresse c’est de jouer par associations libres entre différentes formes d’art pour tenter de rendre compte du désordre et de la beauté de notre époque ». Ce travail de cinéaste-artiste ménage une place nouvelle au spectateur : « Pour ouvrir le champ des perceptions et nourrir l’imaginaire du spectateur, j’essaie de lui faire entendre quelque chose d’inouï (non entendu auparavant) ».
Quand l’objectif rencontre le subjectif…
Avec ses films pour parties autobiographiques qui interrogent l’état du monde contemporain, Romain Goupil se méfierait plutôt du surgissement de son imaginaire qui peut « s’empêtrer dans les clichés ». Parfois, au hasard d’une situation de décalage par rapport au réel, un « flash » surgit provoquant le rire ou l’émotion. Et certains de ces morceaux de « pur imaginaire » se transforment alors en idées de scénario. Plus il avance dans sa filmographie et plus Goupil s’affranchit des contraintes narratives pour retrouver le sentiment de liberté de ses films d’enfance en 8 mm : « Le rêve serait d’avoir quelques notes et d’enrichir cette trame de la rencontre des personnages, des situations et des lieux pendant la phase de repérages. Une atmosphère, une lumière ou un visage vont alors réactiver mon imaginaire et me rapprocher au plus près de ce que je cherche intuitivement ». Mélangeant fiction et documentaire, son prochain projet devrait l’emmener vers la Tchétchénie, le Kosovo et la Bosnie à la recherche de certains visages croisés furtivement et qui, depuis, taraudent son imaginaire…
« Au cinéma, tous les attributs du rêve sont revêtus de la précision du réel », constatait déjà Paul Valéry. Inventeur du cinéma-vérité pour certains, Jean Rouch, ethnographe, poète et cinéaste renverse cette proposition : « L’imaginaire c’est le rêve que tous les artistes, les cinéastes et les poètes essaient de rendre vrai. C’est une remise en question générale du monde et une rupture d’interdit ». Et pour que son cinéma reste un « sacrilège permanent », Rouch place l’improvisation, « ce truc irremplaçable pour capturer le hasard objectif cher aux surréalistes », au cœur de son travail.
Au-delà des genres et des formats
Avec ses moindres enjeux commerciaux, le court métrage favorise-t-il le déploiement de l’imaginaire ? « Seuls quelques rares auteurs saisissent la liberté créative qu’autorise ce format », répond Stéphane Kahn de l’Agence du court métrage. L’exception peut venir des films d’animation: « Ils permettent à leurs auteurs de débrider leur imaginaire. Empruntant parfois à la mythologie et aux contes, certains films comme « l’Infante, l’âne et l’architecte » de Lorenzo Recio osent aussi des échappées visuelles très stimulantes mélangeant images de synthèses, prises de vue réelles et effets numériques », analyse Stéphane Kahn.
Venu du court métrage, Eric Zonca a connu son rêve de cinéaste avec « La vie rêvée des anges », un film à la trajectoire idéale. Pour lui, l’envie de cinéma commence par les images et non par les mots. Il aime les cinéastes capables de bousculer un scénario. Sans construction dramatique prédéfinie, son écriture est plus physique que mentale. Zonca écrit « à la sauvage, comme on creuse une tranchée ». Au départ d’un projet, une vision émotionnellement forte, une intuition porteuse de sens : « J’ai « vu » dès le départ la dernière séquence de « La vie rêvée des anges », et, bizarrement, je connais déjà l’image finale du film que j’écris en ce moment ». Cette vision se déplace ensuite à travers le scénario et c’est en l’écrivant que son film se dévoile : « Pendant l’écriture, mon imaginaire fonctionne comme l’humus sur lequel s’élève l’histoire à raconter ». Le point d’arrivée du film comme point de départ du projet. La fin comme commencement : « J’écris avec une cigarette que je n’allume pas. Ce rituel me permet de décoller et de plonger dans mon imaginaire pour voir et entendre mes personnages. Ensuite, je n’arrête pas de reprendre le premier jet avec des partenaires d’écriture capables de s’engouffrer dans mon histoire pour en augmenter le champ des possibles ». En cas de blocage, Eric Zonca part marcher dans les rues de Montmartre. Une balade dans son imaginaire à la recherche d’un geste ou d’une attitude qui éclaireront ses personnages. Son prochain film marquera une rupture avec le cinéma « social » qu’on lui connaît et proposera au spectateur « une immersion dans un univers imaginaire obscur où tout ne sera pas explicité ».
Tout juste 50 ans à eux deux, Amrane Lamiri et Michael Beaufrère sont devenus inséparables. Une relation d’écriture sans hiérarchie basée sur une véritable amitié. Leur terrain de jeu : la comédie grand public labellisée « nouveau rire ». Dans la mouvance de Jamel Debouzze et du réalisateur Djamel Bensalah (nouveau poulain de la Gaumont), ils alternent commandes et projets personnels (« Kelif et Deutsch à la recherche d’un emploi » est diffusé dans l’Hyper Show de Beigbeder sur Canal Plus). Ces jeunes scénaristes autodidactes incarnent la génération télé dont l’imaginaire a « bouffé de l’image ». Génération zapping, mix des références : « Fernand Raynaud digéré par les Monthy Python ». Un imaginaire nourri aussi de « leurs trucs persos et ceux de leurs amis ». Leur méthode de travail : le ping-pong imaginaire. Les idées y rebondissent en permanence et l’imaginaire de l’un y alimente celui de l’autre : « Tout est permis. Le partenaire sert de public immédiat. On joue les scènes en improvisant pour repérer les sous-sens des dialogues déclencheurs de rire et pour trouver les gags qui font mouche ». Sport du neurone, la gymnastique de l’imaginaire fatigue ses pratiquants. Et pourtant, dans les transports ou même chez eux, ils continuent : « Sans imaginaire, on est mort. Pour nous, l’écriture est un jeu. C’est magique de se dire que notre imaginaire va faire voyager, rire et rêver les gens ».
Les rois de l’imaginaire
Méliès dès l’origine, Lynch aujourd’hui… Alchimistes de l’image inventeurs d’un nouveau langage cinématographique, les rois de l’imaginaire ont marqué l’histoire du cinéma. À la manière des surréalistes subvertissant les systèmes de représentations de leur époque, ces cinéastes proposent de nouvelles expériences sensorielles qui élargissent et nourrissent notre imaginaire. Passé dans le langage courant comme le référentiel d’un imaginaire devenu collectif, l’adjectif « fellinien » n’évoque-t-il pas désormais un univers foisonnant ou l’excès visuel le dispute à l’onirisme. Pour laisser toute sa liberté à l’imaginaire du spectateur, le maestro italien n’a jamais accepté d’inscrire le mot fin sur un écran.









