
SEQUENCE 1/Cuisine château/Int-Jour
Assise sur un banc devant la grande table en bois de la cuisine, Marie Lerouge pleure la tête entre ses mains. Berthe Fayot s’active et dispose sur la table des ustensiles de cuisine. Sur le rebord de la fenêtre, un pigeon roucoule.
Berthe (d’un ton de reproche)
– Cesse donc de pleurer, Marie !
Marie (sanglotant)
– Mais madame, je peux pas m’en empêcher…
Berthe qui continue à s’activer, saisit un torchon sur son épaule et lui envoie sur la figure.
Berthe (excédée)
– Sèche tes larmes et passe moi les légumes !
Marie (sanglotant)
– Mais madame, je peux pas vous les passer les légumes…
Les sanglots de Marie redoublent. Berthe s’asseoit à ses côtés et reprend le torchon.
Berthe (radoucie)
– Allez, dit moi ce que tu as sur le coeur !
Marie (se levant brusquement)
– Y’a plus rien à manger, madame !
Marie sort de la pièce en courant.
Berthe (criant, furieuse)
– C’est ça, va donc rejoindre ta famille d’affameurs !
Son regard croise le pigeon roucoulant sur le rebord de la fenêtre. Elle se saisit brusquement d’un hachoir et pourchasse le volatile qui s’envole dans la cuisine. Arrive Blanche de Monstrolet, coiffée d’un hennin, qui contemple la scène avec stupeur. Le pigeon détourne son cap et volète autour de Blanche. Poussant un petit cri de rage, Berthe lance son hachoir qui, après une longue série de rotation (au ralenti), loupe le pigeon et vient se planter sur la porte en transperçant le hennin de la baronne. Restée digne, Blanche s’avance vers Berthe.
Blanche (magnanime)
– Vous perdez la tête Berthe… ! Et en plus, vous voulez me faire perdre la mienne !
Berthe (balbutiante)
– C’est-à-dire que… Il n’y’a plus rien à manger, madame!
Blanche
– Et vous comptiez peut-être me faire rôtir !
Berthe (gênée)
– Mais non madame… C’est le pigeon…
Blanche (l’interrompant cassante)
– Débrouillez-vous comme vous voulez mais servez nous un copieux repas ou je vous passe à la roue !
Ayant récupéré son hennin d’un geste rageur, Blanche sort à grands pas de la cuisine en claquant la porte. Dépitée, Berthe défie du regard le volatile rescapé qui a repris sa place sur le rebord de la fenêtre et roucoule à nouveau.
SEQUENCE 2/Chaumière Fayot/Int-Jour.
Jean Fayot et son fils Enguerrand, assis de chaque côté de la table qui trône au milieu du salon de la chaumière, jouent aux dés. Sur chaque face d’un dé est inscrit un jour de la semaine. Sur l’autre dé, figurent les différentes corvées effectuées par les serfs du royaume. Fayot tient dans ses mains un jeu de cartes. Enguerrand lance les dés.
Enguerrand (excité)
– Samedi, Dimanche… ! Labourage !
Fayot (retournant une carte, excité)
– Lerouge ! Ah, ah, bien fait !!!
Enguerrand (géné)
– Dis papa, pourquoi c’est toujours Lerouge qui perd !
Fayot (didactique)
– Ecoute moi bien mon petit Ranran ! Il ne perd pas… Au contraire, il devrait me remercier que je lui donne du travail !
Entrée comme une furie dans la chaumière, Berthe se précipite sur son mari.
Berthe (sanglotant)
– Blanche veut me passer à la roue !
Fayot (rassurant)
– Berthie, voyons, calme toi…! Qu’est-ce qui s’est passé ?
Berthe (en pleurs)
– Les serfs ne livrent plus ! Toutes les chariotes sont stoppées sur les routes. C’est ce satané Lerouge qui organise les bouchons de retenue !
Brutalement, Fayot se défait de Berthe et la projette sur le lit.
Fayot (s’adressant furieux à la carte retournée sur la table figurant Lerouge)
– Tu vas me le payer, Rouge !!!
Fou de rage, Fayot sort de la chaumière en claquant la porte. Enguerrand retourne les cartes étalées sur la table. Le portrait de Guy Lerouge figure sur toutes les cartes. Il éclate de rire et sort de la chaumière sur les traces de son père.
SEQUENCE 3/Chaumière Lerouge/Int-Jour.
Marie et Monique, la fille et la femme de Lerouge, épluchent des légumes debout devant la table. Marie jette un coup d’oeil au dernier numéro de « Tiens donc », enluminure people de l’époque posée devant elle.
Confortablement assis à leur côtés, Guy Lerouge est plongé dans la lecture du « Renouveau de la paysannerie. Enluminure 1 ».
Marie (en sussurant)
– Oh, t’as vu maman ! Jeannot Alité s’est réconcilié avec sa donzelle…
Monique (levant les yeux)
– Il était fâché avec Dame Sylve Vatan ?
Marie (haussant la voix)
– Maman, ça fait quatre lustres qu’il n’est plus avec elle ! Je te parle de Laetitiane, moi… Pas de ta vieille parcheminée !
Lerouge (exaspéré)
– Ça cancane, ça cancanne…! Une vraie basse-cour ! Ecoutez plutôt ça, femmes sans cervelle !
(lisant à haute voix un extrait de son livre)
« La classe paysanne est la classe nourricière »…
Monique (bougonnant, à Marie)
– On verra comment elle sera ta Laetitiane quand elle aura mon âge !
Lerouge (haussant la voix)
– … Sans laquelle aucune autre ne pourrait subsister !
Lerouge est interrompu par l’irruption brutale de Fayot avec Enguerrand sur ses talons. Le fils Fayot se dirige vers Marie en cherchant immédiatement à lui palper les seins. Elle se dégage vivement et le poursuit avec un poireau tout autour de la pièce.
Fayot (à Lerouge)
– Tes serfs refusent de livrer le château et en plus ils bloquent la circulation avec leurs charrues. Cette fois Lerouge, tu pousses trop loin le bouchon !
Fayot s’approche de la table et s’appuie dessus, écrasant par inadvertance une tomate juteuse. En souriant, Monique lui tend un torchon avec lequel il s’essuie la main, l’air dégoûté.
Fayot (d’un ton péremptoire, à Lerouge)
– Tu vas immédiatement faire cesser cette grève sur le tas !
Lerouge (sentencieux)
– Opération sabots lents…! Pas grève sur le tas !
Fayot
– Opération sabots lents, opération escargots, faites la chenille si vous voulez… Mais il faut que tu ordonnes à ta servaille de reprendre les livraisons !
Lerouge (calme)
– Seulement si ton bien-aimé seigneur supprime son péage…! J’ai consulté la base… Cette fois, les serfs iront jusqu’au bout.
(tapant du poing sur la table)
Si Monstrolet ne cède pas, crois moi, on va droit à la Grande Jacquerie !
Fayot lève les yeux au ciel. Toujours poursuivi par Marie, Enguerrand renverse un récipient en train de chauffer sur l’âtre. Ebouillanté, il pousse un cri. Fayot se précipite vers son fils et lui assène une grande gifle. Lerouge regarde sa femme en secouant la tête l’air navré.
Monique (tendant une assiette à Fayot)
– Prenez donc un peu de tourte, Sieur Fayot….
Ça va vous calmer… Elle est encore toute chaude…
Fayot
– C’est bien aimable Dame Monique. Mais c’est au château qu’il faudrait plutôt la servir !
Lerouge boit une rasade de vin et repose son verre bruyamment.
Lerouge
– Les livraisons reprendront quand ton baron aura supprimé son péage !
Fayot (douceureux, mâchonnant sa tourte, s’asseyant)
– On pourrait peut-être s’asseoir tranquillement à la table des négochiachions?
Furieux, Lerouge se lève. Il saisit son arc et ses flèches et se dirige vers la porte de la chaumière devant Fayot interloqué.
Lerouge (se figeant sur le pas de la porte)
– Un Lerouge ne négocie pas, il monte au combat ! Que Monstrolet abolisse le servage…! Enfin le péage… ! C’est mon dernier mot !
(levant le poing)
A bas la tyrannie seigneuriale !
Il sort en claquant la porte. Enguerrand s’approche de la table et va pour prendre le reste de tourte dans l’assiette de Fayot qui, plus rapide, le devance et l’engouffre d’une bouchée.
Fayot (la bouche pleine)
– Hum, elle est délichieuse….
(à Monique)
Il faudra que vous donniez la recette à ma femme !
SEQUENCE 4/Atelier Cuné/Int- soir.
La mine maussade, Cunégonde prépare une potion. Albert entre en chantonnant sur l’air de « Mon légionnaire ».
Albert (s’approchant de Cuné)
– Il était beau, il était blond,
il sentait bon le foin à chevaux,
Mon condottiere…
En chantonnant, il virevolte autour de sa soeur tout en lissant son pourpoint aux couleurs vives.
Albert (souriant de toutes ses dents)
– Alors, qu’est ce que t’en penses ?
Cuné (ne levant pas la tête)
– De quoi ?
Albert joue nerveusement avec un alambic rempli de liquide rouge.
Albert
– De mon string à paillettes !
Relevant les yeux, Cuné le regarde interloquée.
Albert (énervé)
– Mais non, bécasse, de mon nouveau pourpoint !
(prenant une pose)
C’est ma dernière création !
Dans un grand geste, Albert renverse malencontreusement un alambic qui explose au sol. Le liquide rouge tâche tout le bas du pourpoint flambant neuf.
Albert (énervé, montrant son pourpoint)
– Pestouille ! Mais fais quelque chose !
Cuné prend un chiffon et essuie le pourpoint maladroitement en élargissant la tâche.
Cuné (palpant Albert)
– Dis donc, il ne baille pas un peu ton pourpoint ? Mon pauvre frère, il ne te reste plus que la peau sur les os !
Elle se relève et observe Albert.
Cuné (l’air préoccupé)
– D’ailleurs, tu as la mine cireuse !
Affolé, Albert se précipite vers un alambic qui reflète son image déformée à travers un liquide vert.
Albert (en regardant son reflet changeant)
– Comment ça je suis trop maigre ? Pour le coup, c’est vrai que j’ai le teint olivâtre…
Et dire que j’ai un rendez-vous galant dans une semaine, moi…! Mon beau soldat m’a quitté en Prince Vaillant et il va me retrouver en Don Quichotte !
Albert dévisage sa soeur.
Albert
– Oh ! Mais c’est que toi aussi tu es bien pâlotte !
Cuné (tristement)
– Ça doit être parce que je n’ai pas de nouvelles de mon Juste…
Albert (lui prenant la main).
– Tu sais comment ils sont ces marauds…
Excitants, je te l’accorde… Mais toujours par monts et par vaux…
Cuné (fronçant les sourcils)
– Juste n’est pas un maraud ! C’est un… justicier !
Albert (la prenant par les épaules)
– Ne t’inquiète pas soeurette, il te reviendra ton sauvageon…!
Cuné soupire et reprend son travail.
Albert (lui embrassant le front et montrant les alambics)
– Et puis, avec toutes tes expérimentations, tu vas bien finir par nous inventer le philtre d’amour !
(se tâtant le corps)
A ton avis, je dois reprendre combien de livres pour être à nouveau désirable ?
SEQUENCE 5/Salle château/Int-Soir.
La famille Monstrolet est installée autour de la grande table pour dîner.
Marie Lerouge débarrasse la soupière et les assiettes. Le chien Cerbère est installé sur son sofa canin, à côté du seigneur.
Monstrolet (de bonne humeur)
– Alors ma fille, que nous prépares-tu en ce moment ?
Cunégonde (sortant un petit objet de son tablier)
– Heuhh… Un détecteur de menteries, père !
Monstrolet (amusé)
– Hélas, je crains fort que personne içi ne se prête au jeu de la vérité !
Blanche (irritée)
– Pourquoi dites vous ça ? Je serai la première… Je n’ai rien à cacher !
Le détecteur émet un bip, bip…
Monstrolet (narquois)
– Vous avez perdu !
Blanche se renfrogne. En silence, la famille Monstrolet se toise au moment où Marie vient apporter de nouvelles assiettes.
Monstrolet (insidieusement, à Cuné)
– Tu ne pourrais pas inventer quelque chose pour donner meilleure mine à ton frère ?
Blanche (irritée, à son mari)
– Vous exagérez !
Monstrolet
– Mais regardez-le ! Tout maigre… Tout pâle…
On dirait une endive !
Vexé, Albert quitte la table. En sortant, il croise Marie qui apporte un plat sur lequel est découpé un maigre volatile.
Blanche (sèchement)
– Vous êtes trop dur avec notre fils !
Monstrolet (salivant)
– Rien de tel qu’un bon pigeon pour vous remettre d’aplomb !
Blanche (sèchement)
– De toute façon, vous préférez votre sale chien à votre propre famille !
Cerbère émet un faible jappement à la vue et à l’odeur du pigeon rôti.
Monstrolet
– Ma chère… Vous êtes ce que j’ai de plus précieux en ce bas monde…
Le détecteur de menteries se met à sonner.
Monstrolet (à Cuné)
– Ramasse-moi ce satané engin !
Après avoir servi tout le monde, Marie dépose une patte dans l’assiette d’Albert.
Monstrolet (à Cerbère)
– Je compte jusqu’à trois et si mon dadais de fils n’est pas revenu, je te donne la pa-pate mon chien-chien… ! Trois !
Cunégonde (outrée)
– Papa !!!
Cerbère émet un nouveau jappement. Monstrolet prend l’assiette d’Albert et le donne à son chien. Marie s’apprête à repartir
Blanche (furieuse, à Marie)
– Marie, tu te moques de moi ou quoi…! J’avais dit un repas copieux… ! File me chercher Berthe !
Marie (à Blanche)
– Je peux pas madame, je peux pas vous la chercher !
Blanche (à Marie)
– Et pourquoi donc ?
Marie (à Blanche)
– Parce que vous allez lui faire la roue… ! Et, après, Berthe, elle sera morte !
Marie s’enfuit dans la cuisine en pleurant.
Monstrolet (ironique à Blanche)
– Vous êtes trop dure avec nos gens de cuisine!
Comblé, Cerbère termine sa patte de pigeon à la grande satisfaction de son maître devant le regard réprobateur des deux femmes.
SEQUENCE 6/Salle château/Int-soir.
Monstrolet caresse son chien confortablement installé dans son sofa canin, réplique exacte du sofa seigneurial.
Monstrolet (tendrement)
– C’est toi que j’aurais dû avoir comme fils !
On frappe à la porte. Fayot est annoncé par deux gardes qui continuent à lui barrer le passage.
Fayot (d’une petite voix, tordant son bonnet dans ses mains)
– C’est Fayot, Monseigneur !
Monstrolet (hurlant, aux gardes)
– Imbéciles, laissez-le rentrer !
Les deux gardes emmèlent leurs lances. Fayot parvient difficilement à passer par en dessous et s’arrête à une grande distance du baron.
Monstrolet jette un regard enamouré à son chien.
Monstrolet (à Fayot, d’un geste de la main)
– Avance Fayot, avance…
Fayot s’exécute et avance de quelques pas.
Monstrolet
– Avance plus près…!
Réticent, Fayot avance doucement.
Monstrolet
– Voilà… C’est ça… Allez, plus près…, plus près encore…
Fayot s’arrête à quelques mètres du seigneur. De plus en plus songeur, Monstrolet regarde son chien.
Monstrolet (sans quitter du regard son chien)
– Recule malheureux…!!!
Interloqué, Fayot regarde Monstrolet et le chien sans bouger.
Monstrolet (regardant Fayot)
– Tu vas reculer, bougre de crétin !!!
Apeuré, Fayot recule brusquement et manque de tomber.
Monstrolet (d’un geste de la main)
– Encore, encore…
Fayot continue de reculer et vient se cogner violemment à la porte d’entrée.
Monstrolet
– Sors Fayot, sors… Referme la porte brusquement, rentre à nouveau et viens jusqu’à moi !
L’air hébéte, Fayot sort. Monstrolet caresse son chien et le regarde tristement.
La porte s’ouvre sur Fayot qui a du mal à rentrer à cause des gardes qui n’ont rien compris au manège. Il claque la porte et s’avance d’un pas décidé. Au milieu de la pièce, Monstrolet l’arrête.
Monstrolet
– Stop !!!
Fayot se fige sur un pied.
Monstrolet
– Tape du pied, Fayot !
Fayot tape du pied.
Monstrolet
– Plus fort, plus fort !!!
Saute, saute ! Mais saute Fayot…
Saute, Nom de Dieu !!!
Fayot saute sur place à plusieurs reprises.
Monstrolet
– Bon maintenant, avance vers moi et crie moi-dessus !!!
Fayot (scandalisé)
– Je ne peux faire ça, Monseigneur !
Monstrolet (regardant son chien)
– Fais ce que je te dis ! C’est un ordre !
Prenant une grande respiration, Fayot s’avance vers Monstrolet jusqu’à se retrouver nez à nez avec lui.
Fayot (hurlant)
– MONSTROLLEEETTTTT !!!!
Monstrolet et Fayot se regardent, les yeux dans les yeux.
Monstrolet (très doucement)
– Tu ne remarques rien Fayot ?
Fayot (encore plus doucement)
– Rien Monseigneur… Rien, rien du tout…
Monstrolet (désespéré, tout bas)
– Il n’aboie plus, imbécile…
(en hurlant)
Mon Cerbère n’aboie plus !
Restés nez à nez, les deux hommes regardent le chien qui s’est endormi.
Monstrolet (menaçant)
– Fayot, faut que tu me trouve quelque chose pour le faire aboyer… Sinon…
Fayot (timidement)
– … Le bâton… ?
Monstrolet (tout bas)
– … Non… Non, pas le bâton Fayot…
(souriant cruellement)
Le fouet à clous !
SEQUENCE 7/Salle Château/Int-Soir.
A quatre pattes devant son chien, Monstrolet aboie. Debout avec son luth, le bouffon regarde le seigneur s’agiter devant Cerbère. Assises autour de la table, Blanche et Cunégonde discutent comme si de rien n’était.
Monstrolet
– Ouaff, ouaff, ouaff !!!
Cerbère ne manifeste aucune réaction.
Monstrolet (au bouffon)
– Bouffon, tu pourrais m’aider au lieu de me regarder avec ton air de chien battu !
Le Bouffon (se frappant le crâne)
– Je réfléchis, moi, Monseigneur !
Monstrolet (se relevant)
– Bon allez, aux grands maux, les grands remèdes…!
Exceptionnellement, je t’autorise à chanter !
Ça peut peut-être déclencher quelque chose !
Le Bouffon (saisissant son Luth)
– Je vais intituler cette chanson…
(l’air inspiré)
« Aboie, mon chien, aboie ! »
Tandis que tout le monde dans la pièce se bouche immédiatement les oreilles, le Bouffon entame sa chanson.
Le Bouffon (de sa voix de crécelle)
– Cerbère, gardien des enfers,
pourquoi as-tu perdu la voix ?
Aboie mon chien, aboie…
Ouahh, ouahh, ouahh…
Sinon ton maître pleurera misère…
… Aboie mon chien, aboie Cerbère…
Blanche (se levant)
– Cette rengaine est insoutenable… !
Je préfère encore quand il essaie de nous faire rire !
Cunégonde (lui emboîtant le pas)
– Là, maman, tu exagères !
Les deux femmes se dirigent vers leurs appartements.
Monstrolet (à sa fille, désignant son chien)
– Sois gentille ma fille ! Je t’en supplie, prépare lui une petite potion !
SEQUENCE 8/Chambre château/Int-Nuit.
La porte grince. Fayot et Enguerrand vêtus de collants et de justaucorps noirs entrent dans la chambre avec précaution. Leurs têtes sont recouvertes d’un bas noir qui déforment leurs visages. Enguerrand fait tomber malencontreusement un objet. Dans son lit, le seigneur émet un borborygme. Fayot se dirige vers le bout du lit où dort Cerbère.
Fayot (chuchotant)
– Par là !
Fayot et son fils s’agenouillent près du chien. Le lit s’enfonce sous leur poids.
Blanche (rêvant)
– Oh oui là…. Oui, oui, oui !!!
Dans le dos de son père, Enguerand se penche sur Blanche et commence à lui palper les seins. Fayot approche sa main de la gueule de Cerbère. Celui-ci la saisit et le mord.
Fayot (essayant de contenir sa douleur)
– Aïe…! Maudit cabot !!!
Enguerrand sursaute et déséquilibre le lit. Le seigneur se redresse et aperçoit les deux silhouettes. Il saisit le casse-tête accroché au dessus de son lit et en menace les intrus.
Monstrolet
– Arrière tétards géants…!!! Ou je vous escrabouille !!!
Blanche (continuant à rêver)
– Ouh ! Chéri, non pas ça…!
Oh oui… Comme ça !!!
Enguerrand essaie sans succès de retirer le bas qui recouvre son visage.
Fayot (tout doucement)
– C’est nous, Messire.
Fayot parvient enfin à retirer le bas d’Enguerrand et le gifle.
Monstrolet (furieux)
– Qu’est ce que tu fais là, bougre de crétin ?
Fayot (craintif)
– J’espérais qu’en faisant peur à Cerbère, ça le ferait aboyer…
Monstrolet les rejoint au bout du lit et caresse Cerbère.
Monstrolet (doucement)
– Imbécile ! Regarde ce que tu as fait. Tu as réveillé mon chien.
(à Cerbère)
Ce n’est rien mon Cécer… Rendors-toi.
Toujours endormie, Blanche se redresse et tire Fayot par le cou.
Blanche (passionnée)
– Viens par là mon grand cochon sauvage !!!
Enguerrand rit bruyamment. Fayot tente de se dégager et émet des sons étranglés. Monstrolet se lève et tire Fayot par les jambes.
Monstrolet
– Touche pas à la femme Blanche, Maraud !
Monstrolet tombe à la renverse entraînant Fayot dans sa chute. Enguerrand rit de plus belle tandis que Blanche se rendort.
SEQUENCE 8/Salle château/Int-Jour.
Albert et Blanche se font face autour de la table dressée pour le déjeuner. Le couvert est dressé pour quatre. Dans les assiettes : un navet, deux carottes ratatinées et une tranche de mortadelle pas très fraîche. Albert regarde la tranche de mortadelle puis la soulève avec circonspection.
Albert
– Encore quelques jours à ce régime et je peux devenir mannequin-vedette chez Anodine Alala !
Blanche (soupirant)
– Les privations ne me valent rien au teint…
Cuné n’a même plus de quoi préparer mes masques beauté…! Dans quel monde vit-on?
Le bouffon fait son apparition et s’approche de la table.
Le Bouffon
– Monseigneur ne déjeunera pas. Il préfère rester aux côtés de son Cerbère. J’ai pourtant essayé de le consoler en lui disant que son chien avait juste un chat dans la gorge…
Il sourit à sa pauvre blague. Albert et Blanche lui jettent un regard consterné. L’air satisfait, le bouffon s’asseoit à la place du seigneur et noue une serviette autour de son cou.
Le Bouffon
– Vous connaissez l’histoire de la princesse et du crapaud ? C’est une princesse avec un bec de lièvre qui ramasse un crapaud sur la route. Elle l’embrasse…
Alors que le bouffon s’apprête à saisir un aliment, Blanche lui plante un couteau entre les doigts.
Blanche (menaçante)
– Bouffon, tu touches à cette carotte et je te jure que tu ne pourras pas jouer du luth de si tôt !
Apeuré, le bouffon retire sa main et reprend son histoire.
Le Bouffon
– … le crapaud se transforme en beau prince…
Blanche lui arrache la serviette et le chasse en le frappant avec.
Blanche (au comble de l’exaspération)
– Déguerpis bouffon de malheur !!!
Le bouffon s’enfuit en tentant de subtiliser la tranche de mortadelle dans l’assiette de Cuné qui n’est toujours pas là.
Le Bouffon (continuant son histoire)
– La princesse dit au prince : « Oh beau Prince,
embrasse-moi »…
Blanche lui jette sa timbale à la tête du bouffon qui l’évite de peu. L’ustensile vient rebondir aux pieds de Cuné qui fait son entrée dans la salle.
Le Bouffon (affolé)
– Le prince lui répond : « J’embrasse pas les crapauds ».
Le bouffon disparait vers la cuisine. Cuné ramasse la timbale puis, impavide, regarde sa mère et son frère.
Blanche (calmée)
– Tu viens manger ma chérie ?
Sans la regarder, Cuné se dirige vers la cuisine.
Cuné
– Non, merci. De toute façon, je ne pourrais rien avaler… !
Blanche (à Albert)
– Cette petite n’a pas l’air dans son assiette…
Cuné à peine disparue vers la cuisine, Blanche et Albert se jettent sur les assiettes des convives manquants et en versent le maigre contenu dans les leurs.
Albert (consterné)
– Bon appétit maman !
Blanche (austère)
– Dans quel monde vit-on ?
Seul le bruit lugubre des couverts raclant les assiettes se fait entendre.
SEQUENCE 11/Chambre Château/Int-Jour.
Le seigneur est assis au bout de son lit, la tête de son chien installée sur ses genoux. Il le caresse.
Monstrolet (mélancolique)
– Ah, mon Cécer, mon Béber, mon chien chien… Que deviendrais-je sans toi ?
(souriant)
Tu te souviens de notre première rencontre…Tu tenais dans ta gueule une tourterelle éventrée… Je t’ai tout de suite aimé !
Il retape le coussin du chien qui soulève une paupière. Le seigneur rit, attendri.
Monstrolet
Et le manant. T’en souviens tu… ?
Tu voulais l’égorger ! Quel jeune chien fol tu étais ! Heureusement que je suis intervenu…!
Monstrolet lui tapote le flanc.
Monstrolet
– … tu lui avais déjà arraché la panse !
Monstrolet rit. Le chien remue la queue.
Monstrolet (ému)
– Comme tout ça me semble loin…
Et voilà qu’aujourd’hui, tu ne me parles plus…
En provenance de l’extérieur, une musique discordante se fait entendre. Le seigneur se dirige vers la fenêtre, l’ouvre et crie.
Monstrolet (criant)
– Bouffon, cesse immédiatement ce tapage ou je te fais écarteler sur le champ !!!
On entend une fausse note, puis à nouveau le silence. Le seigneur retourne enlacer son chien qui s’est endormi en ronflant. La porte s’ouvre sur Blanche.
Blanche (furieuse)
– Bertrand ! Ça ne peut plus durer ! Votre famille dépérit et vous passez votre temps à dorloter ce sac à puces !
Monstrolet (menaçant)
– Retirez tout de suite cette vilénie, Blanche !
(à son chien endormi)
N’écoute pas cette ribaude, mon chien…
Blanche (sévère)
– Les serfs ne livrent plus le château. Il n’y a plus rien en cuisine !
Monstrolet (ironique)
– Vous n’êtes donc plus au régime, ma mie ?
Blanche (le fixant avec dureté)
– Il faut agir, et vite, sinon vous ferez ceinture vous aussi… et jusque dans votre couche… ! Je vous aurai prévenu !
Monstrolet (souriant)
– Vous avez retrouvé la clé de votre ceinture, cher amour ?
D’un geste rageur, Blanche jette son hennin sur le sol.
Blanche (blême de rage)
– Grossier personnage ! Faites quelque chose où c’est moi qui m’en charge !
Monstrolet
– Des menaces à présent ! Par pitié, n’en faites rien ! Je vais prendre des mesures !
Détournant le regard vers son chien, Monstrolet congédie Blanche d’un geste de la main et de l’autre caresse Cerbère.
Monstrolet (à Cerbère endormi)
– Si seulement c’était elle qui pouvait perdre la voix !
SEQUENCE 11/Salle château/Int-Jour.
Le seigneur est assis sur son trône. Il caresse la tête de Cerbère installé à ses côtés sur la réplique miniature du siège seigneurial.
Monstrolet
– Mais oui, il était beau le chien à son seigneur !
Fayot passe la porte en courbant la tête. Il s’arrête à un pas du seigneur et enlève son bonnet. Monstrolet pose son nez contre le museau de son chien.
Monstrolet
– Qu’il avait un beau pelage soyeux, mon pépère…
Fayot (mielleux)
– Ça, c’est pure vérité, Messire… !
Rarement canidé a eu poil plus lustré !
Monstrolet (levant la tête)
– Que fais-tu là, Vilain ?
Fayot (baissant les yeux)
– Vous m’avait fait quérir, Messire.
Monstrolet (se grattant la tête)
– Ah oui ! Cerbère me fait tellement souci que j’en perds la mémoire…!
Fayot
– C’est bien normal, mon Baron. Quelle tristesse en effet de voir ce pauvre chien devenir loque.
Monstrolet (l’interrompant d’un geste menaçant de la main)
– Surveille ton langage, Fayot. D’accord, Cerbère est un peu fatigué en ce moment mais il a encore la force de t’arracher la langue… ! Mes gens m’informent que nous sommes au bord de la famine. Les serfs ne livrent plus parait-il ? Pourquoi ne m’en as-tu pas averti ?
Fayot tord son bonnet entre ses mains.
Fayot
– Les serfs sont en grève, Messire. Ces racailles refusent de s’acquitter du péage. Et cet enragé de Lerouge parle même de grande Jacquerie !
Monstrolet
– Ces arriérés ne savent-ils pas que tout fief moderne doit avoir son péage ? Le Comte de La Mistoufle en a un lui… Le seigneur de Villetouze aussi…
Ils sont pourtant bien aimés de leur peuple !
Fayot
– Oh, mais votre popularité reste grande, Messire… C’est juste que ce Lerouge…
Monstrolet tire une dague de son pourpoint. Apeuré, le vilain recule d’un pas. Le seigneur entreprend de se curer les ongles avec la dague.
Monstrolet (avec un sourire cruel)
– Il est vrai que tous ces seigneurs sont mieux entourés que je ne le suis. Fayot, tu es la calamité des régisseurs !
Fayot (hésitant)
– Mon Baron, je ..
Le seigneur se lève brusquement. Les genoux de Fayot s’entrechoquent de peur.
Monstrolet (furieux)
– Tu m’échauffes, vilain. Tu m’emmerdes ! Tu n’es qu’un incapable Fayot. Même pas fichu de faire aboyer mon chien.
(hurlant)
Gardes, jetez ça hors de ma vue ! Ce fâcheux fatigue mon Cerbère !
Les deux gardes asynchrones entrent dans la salle. Monstrolet lance sa dague en direction de Fayot qui a pris la fuite vers la cuisine. La dague vient atterrir sous les pieds d’un des gardes qui glisse et entraine son alter ego dans sa chute.
SEQUENCE 12/Insert « Avis à la populace »
Sur un panneau d’affichage public, un placard est accollé.
« Avis à la populace !
Quiconque fera aboyer Cerbère, le chien seigneurial,
Se verra attribuer le poste de régisseur
En lieu et place du sieur Fayot.
Signé : La Baronnie de Monstrolet. »
SEQUENCE 13/Chaumière Lerouge/Int-Soir.
Monique s’agite dans le coin cuisine. Guy et Juste Lerouge sont attablés devant une multitude de plats. Les deux hommes mangent avec leurs mains. Entre deux bouchées, Guy Lerouge boit de larges rasades de vin et se ressert.
Lerouge (déjà passablement ivre, chantant façon supporter de foot)
– Fayot, Fayot… Fayot, Fayot… !!!
Juste (imitant le chien)
– Ouaff… Ouaff !
Monique (à la cantonnade)
– Laissez donc quelque chose à Marie !
C’est pas au château qu’on va nous la nourrir !
Juste (à Monique)
– Ne t’inquiète pas maman ! Y’en aura pour tout le monde !
(à Lerouge)
Tu crois qu’il va tenir combien de temps Fayot ?
Lerouge (se resservant du vin)
– Il est cuit le Fayot ! Cuit, cuit, archi-cuit… !!!
Et Monstrolet ne trouvera personne pour le remplacer !
Juste (entre deux bouchées)
– Et si c’était quelqu’un de pire qui devenait régisseur ?
Lerouge (se resservant du vin)
– Pire que Fayot ! Impossible !
Depuis l’extérieur, le chant de l’internationale serf se fait entendre.
Chanteur (en off)
– C’est la lutte finale
Serfs, donnons nous la main…
Lerouge (se levant, à Juste)
– Lève toi !
Lerouge et Juste (chantant avec le chanteur off)
– Fi du droit royal
Le serf sera vilain !
Apparaît alors en chantant Marciou qui tient dans ses mains un gros jambon. Il s’arrête de chanter.
Marciou (essoufflé)
– Tiens camarade, je t’ai apporté un beau jambon. Je l’ai piqué sur une chariotte du château bloquée à la frontière du comté par nos barrages.
Marciou pose le jambon sur la table.
Lerouge (à Monique)
– Moumoune, t’as bien une assiette et une timbale pour Marciou ?
Monique (s’affairant)
– J’ai toujours ce qu’il faut pour les camarades!
Monique dépose assiette et timbale devant Marciou. Lerouge lui sert du vin. Marciou boit cul sec et se ressert sans cérémonie.
Lerouge (à Marciou)
– Alors, comment ça se passe chez nos voisins?
Marciou (se servant une belle cuisse de poulet)
– Le mouvement gagne Lerouge ! Encore quelques jours et tous les seigneurs de la région n’auront plus que la peau sur les os ! Et Fayot, quelles nouvelles ?
Lerouge (resservant les verres)
– Il chauffe du bonnet le Fayot…! Il est cuit,
archi-cuit…!!! Je m’en vais lui piquer sa place !
Marciou (surpris)
– Toi !!! A la place de Fayot ?
Lerouge (s’emportant)
– Et pourquoi pas ?
A mon tour de le faire bosser le Fayot !!!
Un peu inquiets, Marciou et Juste regardent Lerouge en silence.
Lerouge (avec de grands gestes)
– Je vais en faire de la purée de Fayot !
On va se la couler douce… !
On sera gras, on s’en mettra jusque là !
(se levant en titubant)
On va tous les faire trimer ces fayots, croyez-moi !!! A la trique, on va les exploiter !!!
Pourquoi vous me regardez comme ça !
Marciou et Juste ont cessé de manger. Ils l’écoutent sans oser intervenir.
Dans le dos de Lerouge, Monique fait de grands signes pour leur faire comprendre que son mari est fin saoul. Elle s’approche de Lerouge et l’entraîne tendrement vers la chambre.
Monique
– Arrête de mouliner, tu nous fatigues…! Allez, viens, on va se coucher !
SEQUENCE 14/Atelier Cuné/Int- Nuit.
Tout habillée, Cuné dort dans son lit. L’atelier est éclairé par la lune. Une ombre au bout d’une corde se projette sur le mur. Dans un grand bruit, une silhouette vient s’écraser par terre sur la descente de lit faite d’une dépouille d’ours.
La silhouette (Juste)
– Rhhaaa!
Cuné se redresse et allume une sorte de lampe à huile de sa confection. Par réflexe, elle serre son oreiller contre son ventre et brandit une paire de ciseaux qu’elle saisit sur la table de chevet.
Cuné (d’une voix chevrotante)
– Je vous préviens, je n’hésiterai pas à vous crever les yeux !
Recouverte de la peau d’ours, la silhouette se redresse. Cuné brandit la lampe et pousse un cri d’horreur.
Juste
– Cuné, c’est moi Juste ! C’est juste moi !
Cuné met la lampe sous le nez de Juste, l’examine et repose les objets sur la table de nuit. Elle attire Juste par le cou. Ils s’effondrent sur le lit.
Cuné
– Ah mon Juste ! Je suis tellement heureuse !
S’emmêlant dans la descente de lit, Juste suffoque. Prenant les râles de son amant pour de l’engouement, Cuné le serre encore plus fort. S’agitant en tout sens pour se dégager, Juste projette Cuné en arrière et parvient enfin à se débarrasser de la peau d’ours.
Juste (essouflé)
– Je t’ai attendue à la cabane toute la nuit ! Qu’est-ce que t’as fichu ?
Cuné (étonnée)
– Comment ça tu m’as attendue ? Nous n’avions pas rendez-vous !
Juste (inquiet)
– Quoi… ! Tu n’as pas reçu mon message ?
Cuné (sceptique)
– Un message…?
Juste (haussant les épaules)
– Oui, un message… ! Un billet contenant une information si tu préfères… Je te l’ai envoyé par pigeon voyageur !
Cuné (interloquée)
– Par pigeon…?
Juste (mimant le vol d’un oiseau)
– Oui, un volatile de la famille des Colombins !
Cuné (se mettant debout sur le lit)
– Je sais parfaitement ce qu’est un pigeon.
D’ailleurs, on en a mangé un hier soir à dîner. Enfin… Quand je dis « on », c’est surtout mon père et son chien !
Juste (dégoûté se relevant)
– Quoi, ton père et son Cebère ont mangé Zéphyrin ! Mais c’est horrible !
Cuné (en colère)
– Mais qu’est ce que c’est que ces sornettes à la fin ! Tu ne me donnes pas de nouvelles, je me ronge le foie… Et tout ce que tu trouves à me dire c’est que mon père est un monstre parce qu’il mange du pigeon !!!
Juste tente de la reprendre dans ses bras.
Juste
– Calme-toi, ma colombe… !
Cuné (le repoussant)
– Voilà maintenant que tu obsessionnalise sur les volatiles… ! Mon frère a bien raison… On ne peut pas faire confiance aux oiseaux de ton espèce…!
Juste (déconcerté)
– Bon, je vois que tu t’es réveillée du mauvais pied !
Cuné (avec dureté)
– Au contraire, je crois que je n’ai jamais été aussi éveillée. Tu débarques comme ça en pleine nuit et tu me raconte des histoires à dormir debout ! C’est fini, terminé… !!!
Tu ne m’auras plus avec tes fariboles… !
Elle prend l’oreiller et tente de le frapper. Juste recule et saisit la corde qui pend à la fenêtre.
Juste (conciliant)
– Ecoute Cuné…
Cuné (intransigeante)
– Tais toi !!!
Juste (disparaissant dans le vide)
– Je reviendrai quand tu seras en état de …
Cuné se précipite à la fenêtre avec une paire de ciseaux.
Cuné (riant nerveusement en coupant la corde)
– Bon vol, mon ange !
Un grand cri et le bruit d’un corps qui tombe dans l’eau retentissent dans la nuit.
SEQUENCE 15/Chaumière Lerouge/Int-Jour.
Assis autour de la table, Lerouge, Monique et Juste prennent leur petit-déjeuner. Lerouge a l’air particulièrement fatigué. Monique lui sert une boisson fumante dans un bol.
Monique (à Lerouge)
– Tiens, je t’ai préparé une tisane de ma composition pour ton mal de crâne.
Sans un mot, Lerouge commence à boire l’étrange breuvage. En face de lui, Juste éternue.
Monique (à Juste)
– Où t’es allé m’attraper ce méchant rhume ?
Juste (à Monique)
– Je suis en froid avec Cunégonde…
Lerouge (à Monique, désignant son bol)
– Pas très efficace ton machin…! Pas très fameux non plus !
Juste (à Lerouge, en confidence)
– Je sais pourquoi Cerbère n’aboie plus !
Lerouge (à Juste, en se marrant)
– Ouaff, ouaff !!!
Fayot suivi d’Enguerrand font irruption dans la chaumière.
Juste (à Lerouge, en aparté)
– Si, si… Pour Cebère, j’ai compris où il y a un os !
Fayot (brutalement, à Lerouge)
– Il faut que tu m’aides Lerouge !
Lerouge (sur le même air, façon supporter de foot)
– Fayot, Fayot…, Fayot, Fayot !
Juste (faisant les coeurs)
– Ohhhh, ohhh !
Lerouge (redevenant sérieux, à Fayot)
– Tu pourrais frapper avant d’entrer !
Enguerrand (ricanant doucement, à son père)
– Je te l’avais pourtant dit papa !
Fayot (lui balançant une gifle)
– Bein, tu vois, moi je frappe une fois rentré !
Fayot s’assoie à la table tandis qu’Enguerrand reste derrière lui, à bonne distance, en se frottant la joue.
Fayot (doucereux, à Lerouge)
– Qu’est-ce que tu bois…? Ça sent tout drôle !
Monique pose un bol fumant de tisane devant Fayot.
Monique (à Enguerrand)
– Tu veux un bol de chocolat mon petit ?
Enguerrand (la prenant de haut)
– Pas tant que la grêve ne sera pas arrêtée…! A cause de vous, maman va être passée à la roue !
Fayot regarde son fils durement. Celui-ci baisse les yeux piteusement.
Fayot (à Lerouge)
– Le petit a raison…! Il faut savoir terminer une grêve !
Lerouge
– Elle cessera quand j’aurai pris ta place !
Fayot (outré)
– Quoi, tu serais prêt à trahir ta classe !
Juste (à son père)
– Pour une fois, Fayot a raison !
Fayot (reprenant de l’assurance, à Lerouge)
– Pour une fois, même ton brigand de fils est d’accord avec moi…! Un Lerouge est un Lerouge et un Fayot doit rester un Fayot… ! Sinon, c’est la chienlit… ! Tu comprends ça, Guy ?
Lerouge
– Je comprends surtout qu’on sait comment lui faire aboyer son chien à Monstre-laid !
Enguerrand (de son air supérieur)
– Monstrolet, pas Monstre-laid !
Fayot fixe sévèrement son fils qui baisse les yeux.
Fayot (à Lerouge)
– Tu me dis comment faire aboyer ce maudit chien et je fais lever le péage !
Enguerrand ricane dans son coin. Lerouge réfléchit et se lève.
Lerouge (à Fayot)
– Marché conclu mais pas d’entourloupes hein !
(fixant Fayot dans les yeux)
Prépare un parchemin contractuel et je te dirai comment faire !
Fayot (se levant en lui tendant la main)
– Tope-là, Lerouge !
Les deux hommes se serrent la main. Fayot tend son bol pour trinquer et boit une gorgée avec une grimace de dégoût.
Fayot (à Monique)
– Cette fois, je ne vous demanderai pas la recette !
SEQUENCE 16/Salle château/Int-Jour.
Avachi sur son sofa, le seigneur est triste. Il caresse distraitement la tête de Cerbère, installé à ses côtés. On entend frapper.
Monstrolet (d’un air las)
– Entrez.
Fayot apparait et marche en courbant un peu la tête vers lui.
Monstrolet
– Alors sournois, j’espère que tu m’apportes de bonnes nouvelles ?
Fayot (l’air satisfait)
– Excellentes Messire… ! Je sais comment guérir votre Cerbère !
Monstrolet (méfiant)
– Encore une de tes mauvaises plaisanteries ?
Fayot (mielleux)
– Que non pas, Messire.
Monstrolet
– Cette fois, Fayot si tu échoues, je te fais rôtir vivant !
Fayot prend le chien à bras le corps contre sa poitrine et effectue un demi-tour sur lui-même pour ne pas être vu du seigneur. Puis il assène une grande bourrade dans le dos du chien. Monstrolet se lève, prêt à intervenir au moment où Cunégonde pénètre dans la salle du château.
Monstrolet (menaçant)
– Vilain, tu deviens fou ! Ote tout de suite tes sales pattes de mon chien !
Le chien fait « han » et expulse un bout de parchemin enroulé dans une bague de pigeon. Fayot lâche Cerbère qui le regarde en grognant et aboie. Fayot ramasse le message et recule prudemment. Le seigneur se lève et se précipite sur l’animal pour le serrer contre lui.
Monstrolet (exhultant)
– Il aboie…! Tu as entendu Cuné, Cerbère a aboyé !!!
(à Cerbère, en l’embrassant)
Tu aboies ! Tu aboies…!
Je t’aime mon chien, je t’aime !!!
Fayot profite de l’inattention du seigneur pour lire discrètement le message. Cuné se jette sur Fayot et lui arrache le billet des mains. Elle le lit à son tour et se dirige vers l’escalier qui mène à son atelier.
Cuné (toute joyeuse, à elle-même)
– Oh mon Juste, comme j’ai été injuste !
Monstrolet lâche son chien et s’approche de Fayot.
Monstrolet (gentiment, pour susciter la confidence)
– Alors, Fayot, tu va bien m’avouer ce que tu a fait à mon Cerbère !
Fayot (fier de lui)
– Que messire m’accorde de garder quelques secrets…
Monstrolet (magnanime, se rapprochant)
– Fayot, demande-moi ce que tu veux, je te l’accorderai!
Fayot (hésitant)
– Voilà… J’aimerais que vous supprimiez le péage…
Monstrolet (embrassant Fayot)
– Accordé, Fayot, accordé !
Fayot esquisse un geste de victoire.
Monstrolet (désignant Cerbère)
– Laisse-nous à présent. Nous avons beaucoup de choses à nous dire…
Courbant la tête, Fayot marche à reculons jusque la sortie.
Monstrolet (interpellant Fayot)
– Ah! Au fait, Fayot…!
Fayot redresse la tête et se fige.
Monstrolet
– A la place du péage, on pourrait peut-être mettre une vignette payante sur les boeufs ?
Fayot (souriant)
– Les boeufs vous appartiennent, Messire…!
On pourrait peut-être envisager de mettre une vignette sur les serfs !
Monstrolet
– Mais les serfs m’appartiennent aussi !
Fayot (énigmatique)
– Pas tout à fait, Monseigneur… Pas tout à fait…
Monstrolet (le congédiant d’un geste de la main)
– Parfait, parfait ! Fais pour le mieux… !
Moi, j’ai à faire…
Monstrolet tape sur la panse de son chien, l’embrasse et aboie. Pour toute réponse, Cerbère lâche un aboiement poussif.
SEQUENCE 17/Atelier Cuné/Int-Soir.
Epilogue sur générique de fin.
Cuné et Juste s’embrassent. Une voix se fait entendre depuis l’escalier.
Blanche (off, excédée)
– Cuné, tu es là ?
Cuné (à Juste)
– Vite disparais, c’est ma mère !
Elle entraîne Juste vers la fenêtre. Il empoigne la corde qui pend à l’extérieur et disparait. La porte s’ouvre sur Blanche qui agite le dernier numéro de « Tiens donc ».
Blanche (d’une voix sèche)
– Tu peux m’expliquer ce que cela signifie ?
(lisant)
« Idylle secrète au fief de Monstrolet.
Une personne digne de foi nous informe que la jeune Cunégonde Monstrolet vit une passion torride avec un hors-la-loi. »
(lui agitant le journal sous le nez)
Il y a même ton portrait, regarde…!
Cuné (jetant un coup d’oeil furtif, d’une voix lasse)
– Maman tu sais bien que ces brûlots à scandales racontent n’importe quoi !
Vêtu d’un pourpoint multicolore, Albert entre dans la pièce.
Albert (à Cuné)
– Je suis dans tous mes états…!
Plus mon rendez-vous approche, plus j’ai une boule…!
(lui montrant son ventre)
Là…! Tu vois là…!
Tu n’aurais pas une potion calmante ?
Albert se met à côte de sa mère et regarde la couverture du journal.
Albert (saisissant le journal, à Cuné)
– Mais c’est toi ! Tu fais la une de « Tiens donc »
(examinant le portrait)
Mais qu’est ce que c’est que cette tenue ?
Tu aurais tout de même pu poser avec une de mes créations !
En colère, Blanche lui arrache l’enluminure des mains.
Blanche (menaçante)
– Je te préviens Cuné, si je te vois encore dans ce torchon… J’en parle à ton père !
Tournant les talons, Blanche entraîne Albert vers la sortie.
Blanche (en aparté, à Albert)
– Ces échotiers n’ont décidement rien à se mettre sous la dent…! Je ne sais pas moi…
Ils pourraient faire un article sur moi…
Hein, qu’est-ce-que tu en dis ?
Albert (flagorneur)
– Un article n’y suffirait pas, Mère !
D’un geste rageur, Blanche jette l’enluminure par la fenêtre. On entend un corps qui tombe dans l’eau. Cuné se mord les lèvres et pouffe de rire.
FIN