(Paris – 20 février)
Allez, allez… contextualisons (un peu)…
C’est à l’occasion d’un contact avec une association havraise qui m’incite à expérimenter les pratiques narratives avec des jeunes « décrocheurs » (une appellation qui dit déjà beaucoup de l’histoire dominante qui leur est assignée) que je me suis décidé à prendre contact avec Dina Scherrer. Une simple demande d’entretien suivi d’un échange de mails pour préciser les raisons de mon approche… Curieuse et disponible aux nouvelles rencontres et aux nouveaux projets, Dina, une des figures (deuxième génération précise-t-elle) des pratiques narratives, membre de la Fabrique Narrative (lieu de formation à Paris et à Bordeaux) m’a reçu dans ses bureaux du 7ème arrondissement de Paris… Une heure et demi d’un passionnant entretien sur le travail qu’elle fait avec les adolescents (et dont on trouve trace en vidéo sur son blog), sur l’arbre de vie (elle écrit un livre sur cette approche), sur mon projet « LH se narre » (j’ai hâte d’en connaître le développement me confiera-t-elle) et sur le devenir des pratiques narratives (en plein développement en France).
Les ados
Je ne fais pas de différences entre jeunes et adultes dans l’utilisation des PN… Il faut qu’ils se sentent entendus dans ce qu’ils vivent et veiller à leur demander aux différentes étapes si ca leur convient…
Que faire avec eux ?
Externaliser le problème : Le principe est que le groupe identifie un nom… Il faut réussir à le nommer : ex : « les empêcheurs d’avancer »…
Exemple de question : « Comment pourrait-on appeler ce qui vous freine dans vos apprentissages, d’être bien dans votre scolarité ?
Eux n’ont pas demandé à ce que l’on soit là…
Influente et décentrée, notre posture conçue pour restaurer les identités abimées leur montre que l’on s’intéresse vraiment à eux…
Et qu’on peut contribuer à restaurer leur estime de soi.
La seule intention de notre intervention : qu’ils deviennent auteurs de leur vie… qu’on puisse réinjecter du choix, pour vivre plus en congruence avec ce qui fait sens pour eux…
Ils seront ravis de vous voir car cela leur change du système scolaire.
Au moment où le système scolaire les rejette, c’est tout l’intérêt de travailler les projets avec eux. Et il convient alors d’aller au plus près de ce qui les intéresse à partir de ce qu’ils aiment, de ce qu’ils connaissent, de leur histoires préférées…
Ou ils retrouvent des forces pour revenir dans les apprentissages ou leur avenir passe par une voie professionnelle. J’en ai un qui a ouvert une sandwicherie après avoir passé un diplôme en cuisine alors qu’on le mettait en plomberie.
Témoins extérieurs ?
Par exemple quand on fait des arbres de vie, on peut utiliser les témoins extérieurs pour ancrer les avancées, pour faire rayonner à un plus grand niveau leur identité préférée.
Il faut pouvoir les reconnecter à leur unicité… leur faire toucher du doigt en quoi ils sont uniques. Chaque membre du groupe peut par exemple dessiner un arbre de vie où ils se présentent avec leurs spécificité. Et chacun peut ensuite présenter son arbre aux autres. C’est là qu’on peut faire résonner les témoins.
Exemples de questions posées aux témoins :
« Qu’est-ce que vous retenez de ce qu’il a dit ? »
« Qu’est-ce qui est important pour lui ? »
« Quelle image cela vous donne de lui ? »
Des règles du jeu ?
Je suis dans la transparence totale. Au début, je leur dis qui je suis et ce que je viens faire. Je leur parle d’un voyage à faire ensemble. Je viens les prendre en train et les invite à monter. A chaque séance, je m’assure de la présence de tout le monde avant que le train ne démarre pour la prochaine étape. A chaque fois, je leur explique ce que l’on va faire et pourquoi on va le faire.
Les jeunes ont besoin d’un cadre pour savoir où ils vont aller.
Par contre, on peut très bien leur dire que ce sont eux qui choisissent la direction.
Quelles intentions ?
Quatre idées que je tiens de David Denborough sont opérantes avec les jeunes :
– Qu’ils se sentent reconnus dans ce qu’ils vivent. (honorer les effets du problème sur dans leur vie) ; leur redonner le savoir : c’est eux les experts (de l’absentéisme par exemple) !
– Avoir une double écoute (absent mais implicite)… Écouter la plainte et honorer les fines traces de l’histoire préférée… (leurs forces) ;
– Les sortir de l’isolement ;
– Les faire contribuer à la vie des autres.
L’arbre de vie
C’est un outil que l’on doit à David Denborough et Ncazele Ncubé, tiré de son livre « Collective narrative practice »). Il l’a utilisé à Soweto (Afrique du Sud) dans les années 80 avec une psychologue africaine (Nazélé Nube) pour accompagner des enfants orphelins du Sida. Aujourd’hui, j’utilise cette technique avec les jeunes mais aussi en entreprise, en cohésion d’équipe, etc. Je suis d’ailleurs en train d’écrire un livre à ce sujet.
Exercices de déconstruction
Je propose aussi un exercice de déconstruction pour aller chercher l’absent mais implicite… Avec l’idée de reformuler les choses en montrant que la souffrance (la plainte) est l’expression d’une résistance et la manifestation d’un attachement à des valeurs bafouées.
Je trace un cercle (des objectifs) sur un paperboard et je note tous les « Je ne veux pas… » (le discours de la plainte) à l’extérieur du cercle. Dans un deuxième temps, on reprend ensuite chaque « je ne veux pas » pour tenter de le transformer en « je veux » et de les inscrire à l’intérieur du cercle ; il reste ensuite à les « prioriser » pour savoir lequel on va pouvoir « travailler » aujourd’hui.
Photos-langages
Il est possible d’utiliser ce media pour trouver une image qui représente le problème de chacun. Ils peuvent alors s’exprimer aussi bien en positif qu’en négatif… C’est une aide pour externaliser le problème. Et en profiter pour aller chercher là aussi les fines traces et/ou l’absent mais implicite.
Exercices d’ateliers d’écriture
Ce genre de propositions à base de mots peut buter sur le rapport difficile avec le langage (orthographe, etc…). Il est recommandé de les décomplexer et de ne pas nécessairement corriger les fautes.
La vidéo
Oui c’est un excellent média pour travailler avec les jeunes. On peu demander à un jeune de filmer, d’assurer la captation de la séance. Par exemple pour le travail sur l’absentéisme, nous avons fait un jeu de rôle en demandant à des jeunes de se mettre dans la peau « d’absentéisme » et de répondre à des questions venant du groupe. Et ils avaient plein de réponses…
« Comment tu t’y prends pour recruter les jeunes » ;
« A quoi tu sers ? »
« Quels sont tes objectifs ? »
Ensuite, on peut faire du montage avec eux, mettre de la musique puis montrer le film (re-narration) au groupe. Avec leur accord, on peut s’en servir à l’extérieur pour témoigner du travail fait ensemble.
Durée des séances
2 heures au minimum avec un début, un milieu et une fin ;
– Un temps de prise de contact avec une petite météo pour savoir où ils en sont…
– Un temps de travail
– Un temps de conclusion/bilan pour récolter ce que l’on a semé. Prendre le temps de ramener les petits souvenirs du voyage effectué ensemble. En insistant évidemment sur ce qui peut être soutenant.
Fréquence
– Idéalement, 7 à 8 séances dans l’année scolaire.
Son blog : http://dinascherrer.com
