La deuxième conversation avec A

IMG_7757

« Un sujet se reconnaît à l’histoire qu’il se raconte à lui-même sur lui-même »

(Paul Ricoeur)

Conversation avec A du 7 novembre 2016 

Retour sur la première conversation 

Moi : Qu’est-ce qui a été aidant  ?

A : « On construit en commentant. J’ai réfléchi à un certain nombre de choix pour mon roman : l’utilisation du présent, être davantage dans la narration plus que dans le commentaire ».

Je reviens sur la (longue) pratique du journal intime.

A semble fortement influencé par le jugement (assez négatif) de R Barthes sur cet exercice qu’il a pratiquement lui-même (avec talent).

« Le journal épuise mon désir d’écrire… en fixant le temps, il a la fonction conservatoire d’arrêter le temps qui passe ».

Dans un journal intime, il y a un côté invertébré, fourre-tout, mélange des genres bien loin de la rigueur réclamée par le récit romanesque ».

Sur mon insistance, A concèdera un peu plus tard que le journal intime peut servir aussi de « laboratoire romanesque »

Je reviens ensuite sur  la « Dérobade » (nom qu’il a donné à son problème) en lui proposant de traiter « Dérobade » comme un personnage de fiction et de le construire comme tel sous forme de jeu.

A ayant commencé à écrire dès l’âge de 14/15 ans (1974) – il date son premier récit de 1977 -, « Dérobade » aurait donc 35 ans… Elle est sournoise, pleine de fausses excuses… Elle lui a fait aimer les plaisirs mondains, le sport et tous les plaisirs qui l’ont éloigné de la création littéraire.

Je note quelques informations « soutenantes »  : dès l’âge de 25 ans, on a dit de A qu’il était une « bonne plume » En 1985, son journal prend plus de consistance et devient un laboratoire pour s’essayer à différents genres de récit.

Nous continuons le travail sur le personnage de « Dérobade » et A reconnaît que les intentions de « Dérobade » sont paralysantes et inhibantes. Ce qu’elle se dit : on peut avoir facilement B par le plaisir où « l’aquoibonisme » (pourquoi faire l’effort de l’écriture ?). Quel serait le projet de « Dérobade »? « Que je n’aboutisse jamais », répond-il.

A parle facilement… Je note les éléments les plus importants de la conversation. Il dit : « Le problème n’est pas de commencer mais de… continuer ! C’est plus facile pour moi d’avoir l’agrégation que d’écrire un roman. Je suis souvent dans un ping-pong imaginaire où je me dis que ce serait bien d’écrire ne serait-ce que pour faire plaisir aux gens qui me soutiennent. Je ne suis pas paresseux… Je bouillonne d’idées… Aujourd’hui, c’est le moment où jamais…  En raison de ma douleur physique, je suis privé de beaucoup d’alibis … Et je suis en pleine possession de mes moyens intellectuels ».

Je continue à chercher des moments d’exception : il me parle de deux grands événements survenus à l’âge de 32 ans : la rencontre de sa future femme (berlinoise) et la mort de son frère. A s’investit alors plus dans l’écriture… Il parle de son plaisir à lire et à écrire dans ces moments de solitude… De son début de roman (près d’une centaine de pages manuscrites) repris il y a 5/6 mois… Il dit : « Aujourd’hui, j’ai plus confiance dans mes capacités ».

Las, depuis 3 mois, il n’écrit plus « à cause d’une douleur physique non traitée et assez invalidante »

Je le questionne sur le plaisir du texte. Il mentionne l’écriture d’un « texte cadeau » écrit pour sa femme qui fait revivre sa grand-mère, de son plaisir de « démiurge » et de la capacité de l’écrit de faire échec à la disparition. Il mentionne aussi une nouvelle  sur la peur de la mort écrite à l’occasion d’un problème qu’il croyait grave à l’œil… « J’ai imaginé un dialogue avec mon frère » (déjà décédé).

Je le questionne ensuite sur les effets de « Dérobade » sur sa vie : « Cela me ramène à ma timidité restée intacte dans certains domaines de ma vie. C’est un des masques  de « Dérobade » alors que, par exemple, je suis très à l’aise dans la prise de parole en public. Il envisage que « Dérobade » soit peut-être le porte-voix de ses parents issus d’un milieu populaire (mère institutrice)… « Ils n’avaient aucune fantaisie et aucun goût pour le récit… J’ai le sentiment d’avoir eu une enfance crépusculaire alors qu’une amie qui m’a connue jeune me dit que j’étais lumineux… Mon frère et moi avions une vivacité/originalité qu’ils n’avaient pas ».

En fin de conversation, A me confie qu’au traitement de texte, il préfère l’écriture manuscrite.

Je lui demande ce qui pourrait être aidant pour la suite de notre travail.  Il aimerait trouver un lecteur à la neutralité bienveillante et évoque une personne qui l’encourage beaucoup.

Après le départ de A, je relis mes notes et me dis que la douleur physique dont il se plaint peut tout à la fois lui servir d’excuse pour ne pas écrire mais aussi lui permettre de se débarrasser de certains de ses dérivatifs habituels (sport, etc…) à l’écriture…

Je constate que l’exercice d’externalisation sur « Dérobade » a fait émerger « La timidité », bien cachée sous d’autres masques.

J’ai envie de proposer à A d’écrire une courte histoire avec  « Dérobade » , « Timidité » et lui comme personnages principaux.

Je me demande à quel moment devrais-je ou non accepter de devenir lecteur ? (Si A le propose)

Je trouve aussi qu’il a beaucoup été question de la fonction conservatoire de l’écriture (faire échec à la disparition) ; Pour A, l’écriture permet d’arrêter le temps, de faire revivre les disparus… de refaire lien…

Comment s’en servir pour donner envie à A de ne pas céder aux sirènes de « Dérobade » et de  « Timidité » ?

 

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire