La première conversation

IMG_7791

Allez allez… Contextualisons (un peu)

Une paire de fauteuils rouges en cuir… Une petite table japonisante… Une chambre d’amis avec vue panoramique sur la ville et sur la pendule de la Mairie…

Un premier client… décidément non je n’aime pas ce mot qui nous ramène à la dimension commerciale d’un échange qui ne l’est pas…

Comment le dire autrement alors  ?  : un patient (non ça fait psy ou docteur)…

Pour l’instant, je préfère dire : une personne qui vient me voir…

 

Comment qualifier notre échange ?  : Une séance (non ça fait trop coach ou psy)

Pour l’instant, je préfère dire : une conversation… (tout simplement)

 

Alors cette première personne qui vient me voir ? Appelons le A puisque c’est le premier…

Il est professeur de lettres modernes… Il porte beau… il s’exprime avec une grande facilité et manie avec un  bonheur évident la langue française.

Il vient me voir parce qu’il aimerait écrire et finir un roman… C’est moi qui lui ai proposé d’expérimenter gratuitement (pour commencer) les pratiques narratives…  avec lui comme narrateur et moi comme praticien…

Après quelques jours de réflexion, A m’a donné son accord.

 

Première conversation. 

Nous voilà assis en face l’un de l’autre le 4 novembre 2016  pour une première conversation.

Depuis 30 ans, il écrit  un journal  qui selon lui n’est pas de la création littéraire. Il dit avoir plusieurs romans en chantier.

Et pourtant, il est « empêché » et ne parvient pas à terminer : ‘Toujours des départs et pas d’arrivée »…

Il dit : « Et pourtant, je connais la méthode… il faut de l’autodiscipline pour devenir « un travailleur de l’écrit »… j’ai du mal à m’y mettre… je suis inhibé par la mise en forme littéraire ».

Pour lui, l’écrit – à la différence de l’oral, un exercice où il brille – représente un effort difficile et potentiellement déceptif. Il est traversé par le doute.

 

Je lui demande de décrire les freins qui l’empêchent de mener à bien son roman et le détourne de la création littéraire qu’il appelle de ses voeux.

Sans grandes difficultés, il liste ses différentes « fausses bonnes » excuses :

– Le sport et la jouissance qu’il entraîne avec sa dose d’endorphine.

– La séduction : le besoin de plaire…

– Les questions sur sa légitimité : son origine modeste ( j’apprendrai tout de même que sa mère était prof), sa vive admiration des grands morts ; avec au premier rang, Blaise Pascal dont il partage le goût pour l’analyse psychologique consistant à penser que l’individu serait essentiellement gouverné (aveuglé ?) par la vanité (reproche implicite fait-à lui-même ?).

– Le doute sur son talent : et pourtant il a reçu très tôt nombre d’encouragements et de jugements favorables de personnes légitimes à ses yeux (une sommité prof d’université, un copain normalien littéraire accompli).

– Le contenu  : que vais-je bien pouvoir raconter d’intéressant  ? Il dit : « Tous mes sujets sont autobiographiques, j’ai un rapport passionnel avec mon passé, depuis que je suis petit, j’ai la hantise de la perte… »

 

En fin de conversation, nous nous mettons d’accord sur le cadre de notre travail : la durée des conversations (environ 1 heure), leur fréquence (1 fois par semaine) et leur nombre (5 pour commencer ).

Je lui demande de préciser son objectif .  Je le préviens que nous allons dans un premier temps décrire les freins à sa création pour essayer de les lever avant de nous intéresser au contenu du roman.

Il veut écrire un roman « générationnel » dont le sujet est un voyage effectué en 1977 à travers l’Europe, seul et avec des amis.

Ses thèmes : Amitié, amour, abandon, aguerrissement… Ses lieux : LH (au début du livre), les voyages en train, la Méditerranée, la Grèce/rapport à l’hédonisme…

Il a déjà commencé ce roman (près de 60 pages ?) qui se voudrait naturaliste (pour la reconstitution de la fin des années 1970) mais qui témoignerait de son rapport ambigu avec l’héritage de mai 1968.

Il parle de son roman avec passion et me dira en fin de conversation que c’est le moment qu’il a le plus apprécié dans notre échange…

 

Je le questionne ensuite sur la forme littéraire envisagée. Ce sera un roman écrit à la première personne du singulier et au temps présent à travers le regard de K, le narrateur.

Je lui demande de nommer le problème qui freine son écriture… A fait plusieurs tentatives avant de choisir « Dérobade » : vis-à-vis de lui-même et du don donné par Dieu que serait son goût pour l’esthétique des récits.

Poursuivant le déroulé d’une des cartes des pratiques narratives, je lui demande de cartographier les effets du problème. Pas de retombées négatives sur sa vie professionnelle  (il est professeur de littérature)… Sur sa vie personnelle, il mentionne ‘la sensation d’un manque très prégnant, la culpabilité et la peur de décevoir certains proches »…

 

La conversation arrive à son terme… je me détends et par contraste sens bien à quel point j’étais contracté pour cette première, assez accaparé par les notes à lire ( les cartes des pratiques narratives) et à prendre, l’heure à surveiller pour tenir la conversation dans le temps imparti et se garder un moment de « feedback » pour la fin.

J’ai repéré pas mal d’échos avec ma propre situation et mes propres freins par rapport à la création littéraire. Je sens bien qu’il faudra me garder de projeter et veillez à respecter son rythme.

J’ai été un peu décontenancé par le cadre souhaité par A : pas plus d’une heure d’entretien, 5 séances (ce qui m’a paru peu). J’ai accepté sans chercher à négocier. Accepté (et plutôt flatté) aussi de sa volonté de se revoir dès le lundi suivant en dépit de la fréquence fixée (par lui) à une semaine…

La suite ? lors de la prochaine séance, j’ai envie  de commencer à identifier des moments d’exception… là où les freins ont un peu lâchés leur emprise..

De lui faire raconter une histoire agréable en lien avec la création littéraire. Et plus tard de revenir sur des personnages influents l’ayant encouragé dans son écriture.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire