Conversations avec J

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Allez, allez… Contextualisons (un peu)

J – jeune homme de 19 ans – Qui ne va pas trop bien mais pas si mal quand même… Il est dans un moment de rupture, de réflexion et de grand changement.

 Première conversation du 24 janvier 2017

Je propose à J de trouver lui-même ce sur quoi il voudrait travailler.

Il dit : « Qu’est qui me plaît vraiment ? Qu’est-ce que je pourrai faire pour moi (et pas forcément en référence aux autres) ?

Je lui demande de me raconter où il en est aujourd’hui. Il a choisi de faire des études de commerce, a fait une première année brillante sur le plan des résultats (deuxième de sa promo) mais a décidé cette année de tout arrêter. « Ces études, c’était un choix par défaut pour les voyages et le bon train de vie », dit-il.

Je lui demande de me préciser le problème auquel il se trouve aujourd’hui confronté.

« C’est plutôt un obstacle intérieur, ma peur de ne pas plaire… Je me suis senti pris au piège dans un système de dominos. Au bout du dernier domino, il y a eu la clinique où j’ai demandé à rentrer pour me faire soigner et lutter contre mon état de renfermement, ma paralysie intérieure et mes crises d’angoisse ».

Je lui demande alors de nommer le problème. « Spectros » dit-il sans hésiter.

Je lui demande de me le décrire, lui disant que j’aimerais faire sa connaissance. « C’est un peu comme un spectre, une ombre assez pesante. Il fait comme s’il disparaissait parfois, mais il revient à la charge dès qu’il voit une faille. Son objectif ? Ne pas me laisser prendre les bonnes décisions « .

Je lui demande de me décrire les effets de « Spectros » sur sa vie.

« Il me met dans le doute. Dès que je crois tenir une certitude, il la démolit. Du coup, j’ai tendance à suivre les idées des autres… C’est moi l’ange et lui le démon. Et le plus souvent, c’est lui qui prend le dessus ! ».

Je demande à J s’il peut me raconter un moment où il a pris le dessus sur Spectros…

«  Il est moins présent dans certains moments… Quand je fais du sport par exemple… Si je lis un livre, il parvient à me déconcentrer et me ramène à des pensées parasites. Il m’empêche souvent de vivre le moment présent ».

Je demande à J quel pourrait être le crédo de « Spectros » ?

« Fais attention à tes faits et gestes »… « Sa présence a des effets négatifs sur ma vie sociale, parfois cela m’empêche de (re)contacter des gens… Heureusement, c’est différent avec les personnes avec qui je suis en confiance ».

 

Je continue à questionner J sur les effets de « Spectros » dans sa vie…

« Il arrive souvent avant que je fasse quelque chose ou que j’aille rencontrer des amis… Avant, il me rappelle les trucs à faire… Après, il me montre ce qui n’a pas été bien fait… Sur le moment, il intervient notamment s’il y a un petit couac dans la soirée en me disant que je suis débile, que je pourrai faire mieux, il m’installe dans un système de comparaison forcément négatif.

C’est un travail de sape assez usant… Fatigué par cette observation permanente, je baisse souvent les bras et fini par fatalisme à être d’accord avec lui ».

Je poursuis mon questionnement et continue à rechercher des moments d’exception…

J évoque une situation récente où il avait RV avec une personne inconnue et où il s’est senti « sans barrière, avec l’esprit libéré ».

Je lui demande comment il a fait pour réussir à déjouer « Spectros » ?

« Je me suis posé… Je me suis concentré sur ma respiration, j’y suis allé sans pression ! » dit-il ajoutant aussitôt : « Mais il est malin et perfide, car il arrive à me faire rejeter et me faire oublier ce qui marche bien pour moi ».

 

Nous arrivons au terme de cette première conversation et je demande à J ce qu’il a retenu de cette première expérience…

Il me dit que cela lui a fait beaucoup de bien de sortir Spectros de lui, de le voir comme un personnage extérieur, « de pouvoir le regarder autrement que comme un cancer qui prend le contrôle d’une partie de moi et me phagocyte, m’empêche d’être moi-même ».

 

Deuxième conversation

Je demande à J s’il a eu de nouvelles idées pour contrer « Spectros » depuis que nous nous sommes vus.

J fait référence à une série d’anticipation qu’il a regardé la veille et qui montrait une société où tout le monde se notait en permanence. « C’est comme si je me notais toujours. Et si je ne suis pas au top, « Spectros » débarque aussitôt ».

Je lui demande de me redire comment il avait fait pour prendre le dessus sur « Spectros » lors de ce rendez-vous qui s’était très bien passé…

«  J’utilise une technique de gestion de stress apprise lors de mon séjour en clinique… Je me pose… Je me concentre sur ma respiration… ».

 

Je demande à J quels sont ses rêves du moment ? (L’objectif est d’étoffer le récit pour bâtir une nouvelle identité narrative).

« Envie de croire en mon rêve de faire de la comédie musicale, envie de ne pas m’arrêter au premier obstacle… Envie de prendre plus soin de moi sans trop chercher à faire plaisir aux autres… Envie de passer de l’invisible au visible… d’être moi-même, d’être naturel… M’assumer tel que je suis… sans me préoccuper constamment du regard des autres, sans faire systématiquement mon autocritique ».

Je lui demande de me décrire ce qu’il aimerait mettre en place pour accomplir son rêve… (J s’est inscrit à des stages de théâtre et de chant et devrait passer une audition pour être admis l’année prochaine dans un cours de comédie musicale qui fait référence).

Il me raconte cette première réunion d’information où il a été récemment et qui lui a donné envie d’aller plus loin, il me parle de son désir d’appartenir à une troupe… Avec impatience et sans stress, il dit attendre le début d’un premier stage en février pour « faire quelque chose de plus vivant ».

Je continue de le questionner sur le même thème. Ses objectifs ? Bien préparé son audition, être détendu dans sa tête, se remettre au sport (il a pour l’instant un souci au genou (je-nous ?))…

Il envisage avec confiance la perspective de ces 3 ans de formation pendant lesquels il espère pouvoir se faire repérer pour intégrer une comédie musicale… Peut-être même en anglais pour pouvoir voyager au Royaume Uni, aux USA et ailleurs… Il me parle d’une diversification possible aussi dans le cinéma ou la chanson, de la possibilité de faire une belle rencontre amoureuse…

 

Je lui demande quelles seraient les qualités nécessaires pour mettre en œuvre son rêve ? Sans trop d’hésitation, J établit une liste : travailler dur, être passionné et enthousiaste, avoir l’esprit d’équipe, faire preuve d’adaptabilité et d’ouverture d’esprit en acceptant les différences.

Je continue à le questionner pour trouver d’autres qualités/valeurs… Après un temps de réflexion, il ajoute à sa liste le « lâcher prise », une qualité très importante mais pour lui la plus difficile à atteindre…

La conversation du jour arrive à son terme… je lui demande ce qu’il retient surtout de notre conversation… Il dit : « Arrivé à avoir des pensées positives, à rester optimiste, à croire en moi…

« Lucky for lucky », conclut-il.

 

Troisième conversation

Après être revenu sur la conversation précédente, je propose à J un exercice pour redevenir auteur de sa vie. Et de garder un temps pour dresser un plan d’actions.

Je lui demande quelles qualités il lui a fallu pour se rendre à cette réunion d’information et suivre son rêve…

Il se reconnaît une forme de courage comme qualité… le courage d’abandonner ce qui était préétabli (le cursus de l’école de commerce, etc.), le courage de recommencer autre chose ; le courage de prendre des risques. Il lui a fallu une autre forme de courage pour aller se faire soigner dans la clinique où il est resté près d’un mois… Du courage encore pour accepter que ça n’allait pas bien malgré les très bons résultats scolaires et de tout arrêter pour mieux recommencer.

Je lui propose de nommer ce moment. Il choisit l’expression « un nouveau départ »… plutôt que « sensation d’avancer » ou « renaissance ».

Je continue à le questionner sur les valeurs liées à ce « nouveau départ »… « Le partage, le vivre ensemble, l’épanouissement personnel » dit-il. Il confirme son intention de faire plus de sports et de (se) créer un cercle vertueux (plutôt que vicieux).

Dans le temps qui nous reste, je lui propose de construire ensemble un plan d’action qui va pouvoir l’aider dans les semaines à et mois à venir.

– Sortir plus, voir du monde, « reprendre des soirées »… se constituer un nouveau réseau… faire partie d’un groupe à part entière…

– Trouver un petit boulot (hôte pour évènements via des agences spécialisées).

– Envisager une colocation un peu plus tard (il habite encore au domicile familial), « Idéalement avec quelqu’un avec qui j’en aurai envie »…

– Faire de la méditation… « Une amie m’a parlé de la possibilité d’intégrer un groupe »…

– Faire du sport avec d’autres gens. « Chercher la bonne fatigue ».

 

Pour conclure notre travail de 3 jours, je lui demande de dresser à chaud un premier bilan assez positif. J  détaille ses envies :

– Me remettre les idées en place

– Me conforter dans mes propres choix

– Retrouver qui je suis, naturellement

– Me recentrer autour de ma vie et de mes besoins

– Mettre de côté les mauvaises choses (pour moi)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conversations avec A (suite de la suite…)

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« Qu’est-ce qu’il ne me dit pas de ce qu’il est en train de me dire » ?

Comme d’habitude, je demande à A ce qu’il y a de nouveau depuis notre dernière conversation…

Il revient sur les notions de temps et d’espace… : « Le temps est pour moi une déperdition constante de matière (image du sac de grain). La fonction de mon journal est de ralentir l’hémorragie… C’est aussi la mission d’une œuvre d’art que d’arrêter le temps… L’espace ? ; j’ai toujours eu du goût pour les femmes étrangères. Peut-être fallait-il aller chercher loin l’objet de mon désir comme pour déplacer l’espace ? Venant d’Abidjan où j’avais vécu mon enfance, les françaises me semblaient exotiques. L’éloignement de l’espace pourrait-il permettre un rapprochement dans le temps ? Sortir avec une étrangère pourrait être alors compris comme une tentative de ralentir le temps, peut-être une façon de réparer la perte de ma mère, premier objet de mon désir… ? ».

Je l’interroge sur le devenir de la petite histoire qu’il a accepté d’écrire.  Il en a déjà écrit 3 pages (manuscrites) qu’il va me lire plus tard : « C’est facile de dessiner un début mais il me manque la fin »… « La fin c’est la mort de qq chose »…

Nous nous mettons ensuite d’accord pour se donner un nouveau cadre de travail avec de 3 à 5 conversations supplémentaires exclusivement consacrées à son roman.

Pour la première fois, je le questionne directement sur le contenu. Il me décrit la structure narrative divisée en 3 parties dont un préambule (qui pourrait prendre de l’ampleur). une partie centrale (partiellement écrite) et une fin ouverte…

Son ambition ? Rendre compte d’un monde révolu mais auquel il est attaché affectivement… Apporter différents axes de réflexion à l’héritage laissé par cette époque.

Je le questionne ensuite sur son personnage principal (le narrateur) et les personnages secondaires notamment féminins (les plus nombreux…).

Nous parlons ensuite de son titre (provisoire ?) et listons les questions demeurées en suspens (faut-il ou non nommer les personnages et les lieux, etc… ?).

Sixième conversation

Depuis notre dernière séance, A  a écrit la petite histoire demandée… « Je suis un gars loyal, j’ai obéis au contrat… Peut-être aussi suis-je en recherche d’assentiment (de sentiment ?). En tout cas,  j’ai réussi à écrire facilement grâce à cet aiguillon. Cette fois, je suis passé au traitement de texte… que j’ai trouvé finalement plutôt agréable et qui permet un retour à l’objectivité, à la différence de l’écriture manuscrite dont la calligraphie personnelle montre bien qu’on ne s’adresse qu’à soi ».

Pour préciser le nouveau cadre de notre travail, je lui propose (sur les conseils de la coach qui me supervise) d’espacer nos conversations de façon à laisser de l’espace à l’écriture.  A est d’accord et accepte aussi de lire à haute voix un chapitre de son roman (déjà écrit) lors d’une prochaine séance. Il est aussi Ok pour m’envoyer par mail des nouvelles parties de textes fraîchement écrites.

Je lui propose de dresser un bilan de nos 5 premières conversations… Il dit : « J’étais seul, je ne le suis plus avec toi. Tu as su créer un cadre rassurant où l’on ne fonctionne pas à l’affectivité… Il  y a moins de risques d’attentes déçues »…

A lit à haute voix plusieurs parties de la petite histoire qu’il a écrite. Il s’engage à lire la suite (déjà écrite mais pas tapée) et la fin (pas encore terminée mais déjà réfléchie) la prochaine fois.

Après le départ de A, je réfléchis et prends quelques notes. La petite histoire a fonctionné efficacement comme métaphore « externalisante ». On y retrouve sa pathologie (« une affreuse pression qui pendant des mois avait provoqué dans sa tête le sentiment angoissant d’être prisonnier »), un des freins identifié et choisi comme personnage principal (Mr Timide) et des figures tutélaires (ses grands morts inhibants) non nommées mais présentes dans le ciel (Balzac, Flaubert, Marguerite Duras…). Selon lui, « Dérobade » serait présente et difractée (à la manière de Satan) dans plusieurs personnages…

C’est un conte écrit avec un langage précis, presque précieux. A dit avoir fait le choix de cette forme pour la liberté et l’universalité qu’elle permet.

Je relis la partie de l’histoire laissée sur ma table et souligne quelques mots  : « Ah non pas du travail mais de la création »… (Opposition plaisir/souffrance ?).

« Cette fois, je dois impérativement me consacrer à ma tâche » dit son personnage principal !

 Septième conversation

A finit de lire le conte qu’il a terminé à l’arrache… : « Parfois je me réveille à 4 h du matin et je note les idées de la journée »

D’évidence, ce petit conte a fonctionné comme une allégorie du « grand récit » (son roman)… Nous faisons le parallèle entre le micro et le macro.

A dit qu’il n’éprouve nullement l’angoisse de la page blanche  ; Il crée par ajout. Pour le roman, il compte étoffer la partie centrale déjà écrite et rajouter une intro.

Nous évoquons à  nouveau Roland Barthes, figure tutélaire non soutenante (impuissance à écrire son propre roman).

Nous nous donnons des objectifs pour la prochaine fois : lecture d’un chapitre important, écriture du synopsis et établissement d’un planning intégrant le principe d’une conversation toutes les trois semaines.

Nous revenons ensuite sur le roman  : sa logique de symphonie sans intrigue, son genre, son volume et ses registres.

Nous nous arrêtons ensuite sur « le noyau dur » (point central divisé en plusieurs chapitres) et évoquons les questions sur la ligne chronologique.

 

Huitième conversation

A lit un chapitre de son roman… Il m’a également envoyé le synopsis que nous détaillons ensemble… Nous nous attardons ensuite sur l’établissement d’un planning d’écriture.

Au terme de cette conversation, A accepte de poursuivre notre travail. Notre collaboration intégrera une conversation (rémunérée) toutes les trois semaines et des échanges par mail selon ses besoins.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conversations avec A (suite)

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« L’externalisation est une idée très puissante. »

« Le problème n’est pas la personne – La personne n’est pas le problème ».

 

Je demande à A ce qu’il a pu  se dire sur le début de notre travail…

Sa réponse : « c’est stimulant, je suis en posture de curiosité qui m’ incite à continuer… Je crois que cela va me permettre d’avoir une vision globale de mon roman… Cela relance ma créativité ».

Je le questionne sur son état d’esprit du moment

Sa réponse : « Je suis en phase de convalescence mais je retrouve les appétits perdus. Lors de nos conversations, je me suis rappelé le mot d’Histrion (cabotin, imposteur), mot utilisé par R Barthes pour qualifier le diariste.

Le journal c’est faire qq chose avec une mauvaise conscience même si je sais que sous sa forme actuelle il pourrait intéresser des lecteurs.

Je manque de souffle… Il en faut pour écrire un roman (le souffle court suffit pour un journal). Il me faudrait de l’endurance…

Je lui propose d’évoquer quelqu’un de soutenant qui a joué un rôle déterminant…

A évoque un professeur d’université très brillant (donc très légitime) qui me disait : « vous écrivez bien vous ! ». A l’époque, je me disais : « J’aurais un destin d’écrivain… C’est la plus belle chose du monde ».

B a visiblement pris goût à nos conversations.

Je propose à B d’écrire une courte histoire avec Dérobade, Timidité, et Histrion (lui ?) comme personnage principal. A la manière d’une pièce de théâtre (avec bcp de dialogue)

Il accepte mais me dit que son temps est très occupé. D’après lui, son énergie est prise par ce travail d’élaboration et l’éloignerait de la création littéraire. (nouvelle excuse ?). A l’inverse, la préparation de ses cours l’aide à se forger des idées, des concepts… dont certains pourraient se retrouver ds le roman. A l’exemple de son concept de deux postmodernité, l’une d’acquiescement (OK avec l’héritage de mai 68), l’autre critique (réactionnaire ?).

Nous discutons sur la notion de contradictions excluantes… si je fais cela alors je ne peux pas faire ceci… Je trouve que B se place souvent ds ce type de système fermé. (cf. le peu de valeur qu’il accorde à son journal).

Je le questionne sur son plaisir à exercer sa profession. A relate ses différentes stratégies pour capter l’audience et pour intéresser sa classe. Son plus grand plaisir est de pouvoir faire revivre des personnages…« Je sers la déesse de la littérature. Transmettre c’est inculquer le respect de ce qui te dépasse, sortir de son cadre. Je me donne la possibilité de transmettre l’héritage de la littérature et la vérité qu’elle délivre sur la vie ».

Je reviens ensuite sur le « manque de souffle » dont il a fait état pour expliquer sa difficulté à écrire un roman.

Sa réponse : « Je n’ai pas de désir assez puissant, il faudrait être capable d’avoir un travail régulier, d’être sur « le chemin laborieux »… Je connais la méthode mais je ne l’ai jamais appliquée en matière de création. Je suis plutôt versatile et me complets dans la logique de la cigale en ayant la sensation de « flatter un travers ». Peut-être est-ce pour me dérober aux lecteurs et éviter par orgueil de m’exposer à un regard critique ? j’éprouve plus de facilité d’écrire pour qqun, des textes « cadeaux » ou des textes pouvant séduire…

Je lui demande de me raconter une histoire dont il a été acteur mettant en scène une qualité favorable à la création.

A raconte la conférence qu’il a donnée en avril 2015 sur le pouvoir de la littérature. Il évoque son aisance, le « plaisir fou » lors de la préparation qui rassemble plusieurs années de méditations, revient sur les félicitations post-conférence de ses collègues « faites avec beaucoup de sincérité » et vante l’originalité de son point de vue, sa faculté d’improvisation, son ton vivant et drôle, sa fluidité orale. la sensation enivrante de se sentir comme un athlète bien entrainé (par ses cours).

Mais à sa fluidité orale, il oppose sa difficulté à écrire. Reconnaissant pourtant qu’il doit bien y avoir un lien possible avec la création littéraire…

Je pose la question du lien avec les autres…

A semble interloqué… « L’oral c’est la jouissance immédiate… L’écrit : un retard de la jouissance, un exercice plus déceptif » dit-il.

A ma demande, A a accepté d’écrire une courte histoire avec Dérobade, Timidité et Histrion (lui ?) comme personnages principaux

Nous nous mettons d’accord pour prolonger le cadre de notre travail et pour questionner prochainement la structure narrative et les thématiques de son roman en devenir.

 

Après le départ de A, je note ma difficulté à me cantonner dans une posture décentrée, presque inverse de la position du journaliste qui cherche à pousser l’autre dans ses retranchements.

Je constate que je me suis laissé aller à parler de moi. Je me demande aussi si A n’est pas dans la séduction avec moi (un de ses sports favoris) et comment cela pourrait nuire à l’avancement de notre voyage.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La deuxième conversation avec A

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« Un sujet se reconnaît à l’histoire qu’il se raconte à lui-même sur lui-même »

(Paul Ricoeur)

Conversation avec A du 7 novembre 2016 

Retour sur la première conversation 

Moi : Qu’est-ce qui a été aidant  ?

A : « On construit en commentant. J’ai réfléchi à un certain nombre de choix pour mon roman : l’utilisation du présent, être davantage dans la narration plus que dans le commentaire ».

Je reviens sur la (longue) pratique du journal intime.

A semble fortement influencé par le jugement (assez négatif) de R Barthes sur cet exercice qu’il a pratiquement lui-même (avec talent).

« Le journal épuise mon désir d’écrire… en fixant le temps, il a la fonction conservatoire d’arrêter le temps qui passe ».

Dans un journal intime, il y a un côté invertébré, fourre-tout, mélange des genres bien loin de la rigueur réclamée par le récit romanesque ».

Sur mon insistance, A concèdera un peu plus tard que le journal intime peut servir aussi de « laboratoire romanesque »

Je reviens ensuite sur  la « Dérobade » (nom qu’il a donné à son problème) en lui proposant de traiter « Dérobade » comme un personnage de fiction et de le construire comme tel sous forme de jeu.

A ayant commencé à écrire dès l’âge de 14/15 ans (1974) – il date son premier récit de 1977 -, « Dérobade » aurait donc 35 ans… Elle est sournoise, pleine de fausses excuses… Elle lui a fait aimer les plaisirs mondains, le sport et tous les plaisirs qui l’ont éloigné de la création littéraire.

Je note quelques informations « soutenantes »  : dès l’âge de 25 ans, on a dit de A qu’il était une « bonne plume » En 1985, son journal prend plus de consistance et devient un laboratoire pour s’essayer à différents genres de récit.

Nous continuons le travail sur le personnage de « Dérobade » et A reconnaît que les intentions de « Dérobade » sont paralysantes et inhibantes. Ce qu’elle se dit : on peut avoir facilement B par le plaisir où « l’aquoibonisme » (pourquoi faire l’effort de l’écriture ?). Quel serait le projet de « Dérobade »? « Que je n’aboutisse jamais », répond-il.

A parle facilement… Je note les éléments les plus importants de la conversation. Il dit : « Le problème n’est pas de commencer mais de… continuer ! C’est plus facile pour moi d’avoir l’agrégation que d’écrire un roman. Je suis souvent dans un ping-pong imaginaire où je me dis que ce serait bien d’écrire ne serait-ce que pour faire plaisir aux gens qui me soutiennent. Je ne suis pas paresseux… Je bouillonne d’idées… Aujourd’hui, c’est le moment où jamais…  En raison de ma douleur physique, je suis privé de beaucoup d’alibis … Et je suis en pleine possession de mes moyens intellectuels ».

Je continue à chercher des moments d’exception : il me parle de deux grands événements survenus à l’âge de 32 ans : la rencontre de sa future femme (berlinoise) et la mort de son frère. A s’investit alors plus dans l’écriture… Il parle de son plaisir à lire et à écrire dans ces moments de solitude… De son début de roman (près d’une centaine de pages manuscrites) repris il y a 5/6 mois… Il dit : « Aujourd’hui, j’ai plus confiance dans mes capacités ».

Las, depuis 3 mois, il n’écrit plus « à cause d’une douleur physique non traitée et assez invalidante »

Je le questionne sur le plaisir du texte. Il mentionne l’écriture d’un « texte cadeau » écrit pour sa femme qui fait revivre sa grand-mère, de son plaisir de « démiurge » et de la capacité de l’écrit de faire échec à la disparition. Il mentionne aussi une nouvelle  sur la peur de la mort écrite à l’occasion d’un problème qu’il croyait grave à l’œil… « J’ai imaginé un dialogue avec mon frère » (déjà décédé).

Je le questionne ensuite sur les effets de « Dérobade » sur sa vie : « Cela me ramène à ma timidité restée intacte dans certains domaines de ma vie. C’est un des masques  de « Dérobade » alors que, par exemple, je suis très à l’aise dans la prise de parole en public. Il envisage que « Dérobade » soit peut-être le porte-voix de ses parents issus d’un milieu populaire (mère institutrice)… « Ils n’avaient aucune fantaisie et aucun goût pour le récit… J’ai le sentiment d’avoir eu une enfance crépusculaire alors qu’une amie qui m’a connue jeune me dit que j’étais lumineux… Mon frère et moi avions une vivacité/originalité qu’ils n’avaient pas ».

En fin de conversation, A me confie qu’au traitement de texte, il préfère l’écriture manuscrite.

Je lui demande ce qui pourrait être aidant pour la suite de notre travail.  Il aimerait trouver un lecteur à la neutralité bienveillante et évoque une personne qui l’encourage beaucoup.

Après le départ de A, je relis mes notes et me dis que la douleur physique dont il se plaint peut tout à la fois lui servir d’excuse pour ne pas écrire mais aussi lui permettre de se débarrasser de certains de ses dérivatifs habituels (sport, etc…) à l’écriture…

Je constate que l’exercice d’externalisation sur « Dérobade » a fait émerger « La timidité », bien cachée sous d’autres masques.

J’ai envie de proposer à A d’écrire une courte histoire avec  « Dérobade » , « Timidité » et lui comme personnages principaux.

Je me demande à quel moment devrais-je ou non accepter de devenir lecteur ? (Si A le propose)

Je trouve aussi qu’il a beaucoup été question de la fonction conservatoire de l’écriture (faire échec à la disparition) ; Pour A, l’écriture permet d’arrêter le temps, de faire revivre les disparus… de refaire lien…

Comment s’en servir pour donner envie à A de ne pas céder aux sirènes de « Dérobade » et de  « Timidité » ?

 

 

 

 

 

 

La première conversation

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Allez allez… Contextualisons (un peu)

Une paire de fauteuils rouges en cuir… Une petite table japonisante… Une chambre d’amis avec vue panoramique sur la ville et sur la pendule de la Mairie…

Un premier client… décidément non je n’aime pas ce mot qui nous ramène à la dimension commerciale d’un échange qui ne l’est pas…

Comment le dire autrement alors  ?  : un patient (non ça fait psy ou docteur)…

Pour l’instant, je préfère dire : une personne qui vient me voir…

 

Comment qualifier notre échange ?  : Une séance (non ça fait trop coach ou psy)

Pour l’instant, je préfère dire : une conversation… (tout simplement)

 

Alors cette première personne qui vient me voir ? Appelons le A puisque c’est le premier…

Il est professeur de lettres modernes… Il porte beau… il s’exprime avec une grande facilité et manie avec un  bonheur évident la langue française.

Il vient me voir parce qu’il aimerait écrire et finir un roman… C’est moi qui lui ai proposé d’expérimenter gratuitement (pour commencer) les pratiques narratives…  avec lui comme narrateur et moi comme praticien…

Après quelques jours de réflexion, A m’a donné son accord.

 

Première conversation. 

Nous voilà assis en face l’un de l’autre le 4 novembre 2016  pour une première conversation.

Depuis 30 ans, il écrit  un journal  qui selon lui n’est pas de la création littéraire. Il dit avoir plusieurs romans en chantier.

Et pourtant, il est « empêché » et ne parvient pas à terminer : ‘Toujours des départs et pas d’arrivée »…

Il dit : « Et pourtant, je connais la méthode… il faut de l’autodiscipline pour devenir « un travailleur de l’écrit »… j’ai du mal à m’y mettre… je suis inhibé par la mise en forme littéraire ».

Pour lui, l’écrit – à la différence de l’oral, un exercice où il brille – représente un effort difficile et potentiellement déceptif. Il est traversé par le doute.

 

Je lui demande de décrire les freins qui l’empêchent de mener à bien son roman et le détourne de la création littéraire qu’il appelle de ses voeux.

Sans grandes difficultés, il liste ses différentes « fausses bonnes » excuses :

– Le sport et la jouissance qu’il entraîne avec sa dose d’endorphine.

– La séduction : le besoin de plaire…

– Les questions sur sa légitimité : son origine modeste ( j’apprendrai tout de même que sa mère était prof), sa vive admiration des grands morts ; avec au premier rang, Blaise Pascal dont il partage le goût pour l’analyse psychologique consistant à penser que l’individu serait essentiellement gouverné (aveuglé ?) par la vanité (reproche implicite fait-à lui-même ?).

– Le doute sur son talent : et pourtant il a reçu très tôt nombre d’encouragements et de jugements favorables de personnes légitimes à ses yeux (une sommité prof d’université, un copain normalien littéraire accompli).

– Le contenu  : que vais-je bien pouvoir raconter d’intéressant  ? Il dit : « Tous mes sujets sont autobiographiques, j’ai un rapport passionnel avec mon passé, depuis que je suis petit, j’ai la hantise de la perte… »

 

En fin de conversation, nous nous mettons d’accord sur le cadre de notre travail : la durée des conversations (environ 1 heure), leur fréquence (1 fois par semaine) et leur nombre (5 pour commencer ).

Je lui demande de préciser son objectif .  Je le préviens que nous allons dans un premier temps décrire les freins à sa création pour essayer de les lever avant de nous intéresser au contenu du roman.

Il veut écrire un roman « générationnel » dont le sujet est un voyage effectué en 1977 à travers l’Europe, seul et avec des amis.

Ses thèmes : Amitié, amour, abandon, aguerrissement… Ses lieux : LH (au début du livre), les voyages en train, la Méditerranée, la Grèce/rapport à l’hédonisme…

Il a déjà commencé ce roman (près de 60 pages ?) qui se voudrait naturaliste (pour la reconstitution de la fin des années 1970) mais qui témoignerait de son rapport ambigu avec l’héritage de mai 1968.

Il parle de son roman avec passion et me dira en fin de conversation que c’est le moment qu’il a le plus apprécié dans notre échange…

 

Je le questionne ensuite sur la forme littéraire envisagée. Ce sera un roman écrit à la première personne du singulier et au temps présent à travers le regard de K, le narrateur.

Je lui demande de nommer le problème qui freine son écriture… A fait plusieurs tentatives avant de choisir « Dérobade » : vis-à-vis de lui-même et du don donné par Dieu que serait son goût pour l’esthétique des récits.

Poursuivant le déroulé d’une des cartes des pratiques narratives, je lui demande de cartographier les effets du problème. Pas de retombées négatives sur sa vie professionnelle  (il est professeur de littérature)… Sur sa vie personnelle, il mentionne ‘la sensation d’un manque très prégnant, la culpabilité et la peur de décevoir certains proches »…

 

La conversation arrive à son terme… je me détends et par contraste sens bien à quel point j’étais contracté pour cette première, assez accaparé par les notes à lire ( les cartes des pratiques narratives) et à prendre, l’heure à surveiller pour tenir la conversation dans le temps imparti et se garder un moment de « feedback » pour la fin.

J’ai repéré pas mal d’échos avec ma propre situation et mes propres freins par rapport à la création littéraire. Je sens bien qu’il faudra me garder de projeter et veillez à respecter son rythme.

J’ai été un peu décontenancé par le cadre souhaité par A : pas plus d’une heure d’entretien, 5 séances (ce qui m’a paru peu). J’ai accepté sans chercher à négocier. Accepté (et plutôt flatté) aussi de sa volonté de se revoir dès le lundi suivant en dépit de la fréquence fixée (par lui) à une semaine…

La suite ? lors de la prochaine séance, j’ai envie  de commencer à identifier des moments d’exception… là où les freins ont un peu lâchés leur emprise..

De lui faire raconter une histoire agréable en lien avec la création littéraire. Et plus tard de revenir sur des personnages influents l’ayant encouragé dans son écriture.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment nourrir et/ou débloquer votre imaginaire…

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(Image de mon ami Christian Roux)

Allez, allez… Contextualisons

Ce article a été publié dans feu l’éphémère et pourtant excellent magazine Synopsis

 Scénaristes, auteurs réalisateurs… Pour  « faire son cinéma », chacun puise allègrement dans son imaginaire. Quelles sont les sources de leur inspiration ? Quelle place occupe l’imaginaire dans leur travail ? Que font-ils pour le stimuler ou le réalimenter ? Ils ont accepté de partager leurs expériences…

 Au fait, l’imaginaire c’est quoi ? « Qui n’est que dans l’imagination. Qui n’est pas réel », indique le Larousse. Le surréaliste André Breton affirme le contraire : « Il existe un point de l’esprit d’où le réel et l’imaginaire, le communicable et l’incommunicable cesseront d’être perçus contradictoirement ». Pour Jacques Lacan « L’imaginaire et le réel sont deux lieux de vie ». Inventeur de son propre espace-temps, le cinéma lui a donné « spectaculairement » raison. Avec Méliès, le cinématographe devient cinéma et le 7e art bascule alors dans la dimension du « magique », du côté des dessins rupestres, des griffonnages d’enfants, des représentations sacrées, des mythes et des légendes… Psychisme humain et cinéma rentrent en résonance intime. « Le cinéma comme une promesse, un lieu de retrouvailles avec son imaginaire enfoui, refoulé, peut-être une part d’enfance perdue… », disait Serge Daney. Plongé dans le refuge de la salle obscure, le spectateur intègre son propre imaginaire dans le flux du film. Autant de films, autant de degrés d’irréalité, autant de variantes dans l’épaisseur de la couche imaginaire…

 De nouvelles formes narratives…

Avec son système narratif fait de contraintes parfois très (trop) codifiées, la dramaturgie exige de l’auteur qu’il convoque en permanence son imaginaire pour (re)présenter le monde. Pour certains réalisateurs, le scénario est une étape indispensable à tout bon cinéma narratif. Pour d’autres, le scénario est perçu comme une entrave à leur imaginaire et ne doit fonctionner que comme une boussole indiquant le cap à suivre.

Journaliste cinéma du Monde Diplomatique, Philippe Lafosse a envie d’un cinéma différent « loin des contraintes commerciales qui bloquent l’imaginaire ». « La Cucaracha » (son premier long métrage) devrait sortir prochainement dans quelques salles s’il parvient à boucler le budget nécessaire au kinescopage. Un tournage ultrarapide (3 semaines en DV) avec des bouts de ficelles, des comédiens connus acceptant de travailler bénévolement, un scénario qui a volé en éclats sur le tournage… Nécessité est souvent mère de l’invention disait Platon ; Philippe Lafosse a dû puiser dans son imaginaire pour parvenir à sa (ses) fin(s) : « C’est souvent en résolvant des questions techniques dans l’urgence du tournage que l’imaginaire surgit. Pendant le montage, il m’a fallu inventer l’esthétique de mon film. Certains tableaux ou certaines musiques ont été de véritables sources d’inspiration ».

Vincent Dieutre achève le montage de « Mon voyage d’hiver », quatrième long métrage en forme de journal autobiographique fragmenté. «  La musique et la poésie ont inventé ce projet comme la peinture de Caravage avait été à la base de « Leçons de ténèbres », mon film précédent. Mon imaginaire se déclenche beaucoup à partir des émotions suscitées par certaines œuvres. Au départ de ce film, il y a eu une idée, un titre, des poèmes allemands de l’après-guerre, des musiques, l’hiver comme métaphore de la glaciation de l’Histoire. Ensuite, j’emmène tout le monde dans cette construction imaginaire fragile et impalpable qui prend corps en subissant l’épreuve de la réalité du tournage. Puis au montage, je réorganise cette matière en y ajoutant la voix off pour redonner de la cohérence narrative à cet ensemble hétéroclite », explique-t-il. Scènes composées comme des tableaux, alternance de textures d’images (DV et 16 mm), désynchronisation du son et de l’image, musique de Schubert (filmée en train d’être jouée) devenant personnage à part entière, Vincent Dieutre cherche à inventer de nouvelles formes de récit, reflet contemporain de la modernité : « Ce qui m’intéresse c’est de jouer par associations libres entre différentes formes d’art pour tenter de rendre compte du désordre et de la beauté de notre époque ». Ce travail de cinéaste-artiste ménage une place nouvelle au spectateur : « Pour ouvrir le champ des perceptions et nourrir l’imaginaire du spectateur, j’essaie de lui faire entendre quelque chose d’inouï (non entendu auparavant) ».

Quand l’objectif rencontre le subjectif…

Avec ses films pour parties autobiographiques qui interrogent l’état du monde contemporain, Romain Goupil se méfierait plutôt du surgissement de son imaginaire qui peut « s’empêtrer dans les clichés ». Parfois, au hasard d’une situation de décalage par rapport au réel, un « flash » surgit provoquant le rire ou l’émotion. Et certains de ces morceaux de « pur imaginaire » se transforment alors en idées de scénario. Plus il avance dans sa filmographie et plus Goupil s’affranchit des contraintes narratives pour retrouver le sentiment de liberté de ses films d’enfance en 8 mm : «  Le rêve serait d’avoir quelques notes et d’enrichir cette trame de la rencontre des personnages, des situations et des lieux pendant la phase de repérages. Une atmosphère, une lumière ou un visage vont alors réactiver mon imaginaire et me rapprocher au plus près de ce que je cherche intuitivement ». Mélangeant fiction et documentaire, son prochain projet devrait l’emmener vers la Tchétchénie, le Kosovo et la Bosnie à la recherche de certains visages croisés furtivement et qui, depuis, taraudent son imaginaire…

« Au cinéma, tous les attributs du rêve sont revêtus de la précision du réel », constatait déjà Paul Valéry. Inventeur du cinéma-vérité pour certains, Jean Rouch, ethnographe, poète et cinéaste renverse cette proposition : « L’imaginaire c’est le rêve que tous les artistes, les cinéastes et les poètes essaient de rendre vrai. C’est une remise en question générale du monde et une rupture d’interdit ». Et pour que son cinéma reste un « sacrilège permanent », Rouch place l’improvisation, « ce truc irremplaçable pour capturer le hasard objectif cher aux surréalistes », au cœur de son travail.

Au-delà des genres et des formats

Avec ses moindres enjeux commerciaux, le court métrage favorise-t-il le déploiement de l’imaginaire ? « Seuls quelques rares auteurs saisissent la liberté créative qu’autorise ce format », répond Stéphane Kahn de l’Agence du court métrage. L’exception peut venir des films d’animation: « Ils permettent à leurs auteurs de débrider leur imaginaire. Empruntant parfois à la mythologie et aux contes, certains films comme « l’Infante, l’âne et l’architecte » de Lorenzo Recio osent aussi des échappées visuelles très stimulantes mélangeant images de synthèses, prises de vue réelles et effets numériques », analyse Stéphane Kahn.

Venu du court métrage, Eric Zonca a connu son rêve de cinéaste avec « La vie rêvée des anges », un film à la trajectoire idéale. Pour lui, l’envie de cinéma commence par les images et non par les mots. Il aime les cinéastes capables de bousculer un scénario. Sans construction dramatique prédéfinie, son écriture est plus physique que mentale. Zonca écrit « à la sauvage, comme on creuse une tranchée ». Au départ d’un projet, une  vision  émotionnellement forte, une intuition porteuse de sens : «  J’ai « vu » dès le départ la dernière séquence de « La vie rêvée des anges », et, bizarrement, je connais déjà l’image finale du film que j’écris en ce moment ». Cette vision se déplace ensuite à travers le scénario et c’est en l’écrivant que son film se dévoile :  « Pendant l’écriture, mon imaginaire fonctionne comme l’humus sur lequel s’élève l’histoire à raconter ». Le point d’arrivée du film comme point de départ du projet. La fin comme commencement : « J’écris avec une cigarette que je n’allume pas. Ce rituel me permet de décoller et de plonger dans mon imaginaire pour voir et entendre mes personnages. Ensuite, je n’arrête pas de reprendre le premier jet avec des partenaires d’écriture capables de s’engouffrer dans mon histoire pour en augmenter le champ des possibles ». En cas de blocage, Eric Zonca part marcher dans les rues de Montmartre. Une balade dans son imaginaire à la recherche d’un geste ou d’une attitude qui éclaireront ses personnages. Son prochain film marquera une rupture avec le cinéma « social » qu’on lui connaît et proposera au spectateur « une immersion dans un univers imaginaire obscur où tout ne sera pas explicité  ».

Tout juste 50 ans à eux deux, Amrane Lamiri et Michael Beaufrère sont devenus inséparables. Une relation d’écriture sans hiérarchie basée sur une véritable amitié. Leur terrain de jeu : la comédie grand public labellisée « nouveau rire ». Dans la mouvance de Jamel Debouzze et du réalisateur Djamel Bensalah (nouveau poulain de la Gaumont), ils alternent commandes et projets personnels (« Kelif et Deutsch à la recherche d’un emploi » est diffusé dans l’Hyper Show de Beigbeder sur Canal Plus). Ces jeunes scénaristes autodidactes incarnent la génération télé dont l’imaginaire a « bouffé de l’image ». Génération zapping, mix des références : « Fernand Raynaud digéré par les Monthy Python ». Un imaginaire nourri aussi de « leurs trucs persos et ceux de leurs amis ». Leur méthode de travail : le ping-pong imaginaire. Les idées y rebondissent en permanence et l’imaginaire de l’un y alimente celui de l’autre : « Tout est permis. Le partenaire sert de public immédiat. On joue les scènes en improvisant pour repérer les sous-sens des dialogues déclencheurs de rire et pour trouver les gags qui font mouche ». Sport du neurone, la gymnastique de l’imaginaire fatigue ses pratiquants. Et pourtant, dans les transports ou même chez eux, ils continuent : « Sans imaginaire, on est mort. Pour nous, l’écriture est un jeu. C’est magique de se dire que notre imaginaire va faire voyager, rire et rêver les gens ».

Les rois de l’imaginaire

 Méliès dès l’origine, Lynch aujourd’hui… Alchimistes de l’image inventeurs d’un nouveau langage cinématographique, les rois de l’imaginaire ont marqué l’histoire du cinéma. À la manière des surréalistes subvertissant les systèmes de représentations de leur époque, ces cinéastes proposent de nouvelles expériences sensorielles qui élargissent et nourrissent notre imaginaire. Passé dans le langage courant comme le référentiel d’un imaginaire devenu collectif, l’adjectif « fellinien » n’évoque-t-il pas désormais un univers foisonnant ou l’excès visuel le dispute à l’onirisme. Pour laisser toute sa liberté à l’imaginaire du spectateur, le maestro italien n’a jamais accepté d’inscrire le mot fin sur un écran.

 

Aishiterou (séquence 5)

 

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SÉQUENCE 6/Intérieur nuit/Salle de restaurant

 Dans la vaste salle du restaurant de l’hôtel traditionnel japonais où résident Victor et Hamlet, une quinzaine de convives, vêtus de kimonos identiques, sont en train de manger assis par terre autour d’une grande table basse disposée en U. Près d’une cloison, de grosses carpes glissent dans l’eau d’un grand aquarium à ciel ouvert. Assis en bout de table, le PDG préside le dîner entouré par ses proches collaborateurs. De l’autre côté, Hamlet qui arbore autour de la tête un bandana aux couleurs du drapeau japonais est assis entre Victor saucissonné dans un kimono trop petit et Maiko, qui porte un splendide kimono de cérémonie. Pour servir les convives, une escouade de geishas vont et viennent dans un ballet élégant et silencieux. Tendant devant lui sa tasse à saké, le PDG porte un toast à l’attention de ses hôtes européens. Seule femme présente autour de la table, Maiko assure la traduction simultanée.

Le PDG

– Votre démonstration de ce matin a été très convaincante. Je suis sûr que nous allons faire de grandes choses ensemble…

Il boit son saké cul sec imité aussitôt par toute l’assistance. Avec une petite grimace, Victor engloutit l’alcool japonais avec une grimace qu’il tente de dissimuler. Maiko se penche vers Victor en train de regarder dans son assiette s’agiter un poisson cru encore vivant qu’une geisha vient de lui servir.

 Maiko (en aparté à Victor)

– Au japon, la coutume veut que vous remerciiez votre hôte en portant un toast à votre tour.

Les geishas versent du saké dans les tasses.

Victor (tendant sa tasse)

– Plutôt que de longs discours, je peux simplement vous dire ceci : ensemble, nous allons révolutionner le monde de la robotique.

Victor boit son saké cul sec aussitôt imité par toute l’assistance. Tandis que Victor regarde dans son assiette son poisson continuer à faire des soubresauts, les geishas versent à nouveau du saké dans les tasses de chaque convive. Le PDG tend à nouveau sa tasse et reprend la parole en regardant Hamlet.

Le PDG

– C’est la première fois que je m’adresse officiellement à une créature artificielle et j’en suis très ému. Je ne suis pas moi non plus un homme de discours. Sachez simplement que le japon est fier de vous accueillir sur son sol.

L’assemblée vide son verre. En guise de remerciement, le robot lève sa main droite en direction du PDG. Le silence se fait.

Hamlet

– Si j’arbore aujourd’hui, les couleurs de votre fier pays, c’est que je suis convaincu que nous allons trouver ici ce que nous sommes venus y chercher. Certes je suis une créature artificielle douée de paroles mais ce que je ressens ici et maintenant, aucun mot « humain » ne peut l’exprimer…

Sur le signal du PDG, l’ensemble de la délégation japonaise applaudit Hamlet. À ses côtés, Maiko le félicite.

Maiko

– Vous êtes un vrai poète…

Hamlet

– N’est-il pas poète celui qui sait que rien n’est plus précieux que la floraison rapide du cerisier ?

Maiko part d’un grand rire clair. Portant sa tasse pleine en direction de ses hôtes, le PDG reprend la parole.

Le PDG

– Mes amis, honorons ces mets délicats avant que cet excellent saké ne trouble tout à fait nos palais. Et que cette soirée de bienvenue soit à la hauteur de la qualité de nos invités !

Dans l’assiette de Victor, le poisson a cessé de bouger. Maiko se penche vers lui.

Maiko

– C’est un poisson extrêmement rare et très prisé par les Japonais.

 Sans succès, Victor essaie de s’en saisir à l’aide de ses baguettes. Aussitôt, le poisson se débat. Une geisha vient à son secours, saisit le poisson dans les baguettes et avec un sourire lui enfourne dans la bouche. La queue encore à l’extérieur de la bouche de Victor, le poisson continue à se débattre. Les joues gonflées, n’arrivant pas à avaler, le visage de Victor devient tout rouge. D’un geste discret, il reprend le poisson qui glisse dans son kimono. Pendant quelques secondes, Victor essaie de reprendre contenance et sourit à l’assistance. Soudain, il se lève en s ‘agitant et en faisant un grand geste du bras qui catapulte le poisson. Après avoir traversé la pièce en passant au ras de la tête d’un Japonais situé en face de lui, le poisson atterrit dans un grand aquarium aussitôt happé par une carpe à la taille impressionnante. Dans le silence général, Hamlet se tourne vers les Japonais.

Hamlet (en japonais)

– « Dans l’eau claire de l’étang,

les poissons nagent,

la fin des corps n’est pas la mort ».

La délégation japonaise répond à ce haïku improvisé par des courbettes déférentes. Tandis que Victor boit une tasse de saké et rajuste son kimono, Maiko traduit le poème à son intention.

Victor (visiblement saoul, en aparté à Hamlet)

– Tu commences à me chauffer avec tes citations à deux yens. Et cesse te regarder Maiko avec tes yeux de merlan frit !

 

 

 

Aishiterou (séquencier)

Chaissac9

 Séquence n ° 1

Pavillon banlieue de Paris/ le Départ

Devant le perron d’un pavillon situé en banlieue parisienne, un taxi attend. En essuyant ses larmes, la mère de Victor discute avec le chauffeur de taxi en lui expliquant que son fils quitte la maison pour la première fois et qu’il va au Japon, le pays du soleil levant. A l’intérieur du pavillon, Victor en maugréant est à la recherche de la casquette de base-ball d’Hamlet qu’il finit par retrouver au beau milieu du capharnaüm de sa chambre transformée en laboratoire. Au moment de se dire au revoir, sa mère lui tend une boîte de pilules à n’utiliser qu’avec parcimonie avant des réunions importantes pour lutter contre sa timidité. Au moment où le taxi démarre, il essaie de dire je t’aime à sa mère mais les sons ne sortent pas de sa bouche.

Séquence n ° 2

Chambre Maiko/Alain Delon

Affalée sur son lit avec une copine, Maiko est installée dans sa chambre en train de regarder une K7 (en français) du film « Le Samouraï » de Jean-Pierre Melville. Sur les murs l’affiche du film en japonais et des peintures abstraites. Un canari s’égosille dans une cage. Les deux jeunes filles poussent des cris à chaque apparition d’Alain Delon qu’elles trouvent beau et mystérieux et font des commentaires. Avec un air rêveur, Maiko annonce à sa copine l’arrivée le lendemain d’un européen qu’elle doit accompagner pendant quelques jours. Peut-être ressemblera-t-il à Alain Delon ?

Séquence n ° 3

Intérieur jour/Hall d’hôtel Kyoto/Présentations

Victimes du décalage horaire, Victor et Hamlet arrivent en retard le lendemain matin dans le hall d’un hôtel traditionnel de Kyoto. Maiko les y attend et se présente à Victor comme étant leur accompagnatrice. Hamlet est aussitôt entouré par un groupe de jeunes filles qui le mitraillent avec leurs appareils photos. Maiko vient le délivrer et se présente. En japonais, Hamlet entame la conversation avec elle en citant un waka d’un poète japonais légendaire. Leur conversation est interrompue par l’arrivée du chauffeur qui doit les conduire au siège de la compagnie pour leur première réunion.

 Séquence n ° 4

Siège de l’entreprise japonaise/Le première réunion d’affaires

Le trio arrive en retard au siège de la compagnie. Dans une grande salle, une assistance imposante les attend. Chaque participant le salue et lui remet sa carte de visite. Victor fouille désespérément dans ses poches… Il a oublié les siennes à l’hôtel…Il s’installe à la mauvaise place sans respecter le protocole malgré les grands signes que lui fait Maiko. Sans tarder, il doit prendre la parole. Au moment où il va démarrer sa présentation, il est interrompu par un coup de fil de sa mère qui a réussi à retrouver sa trace. Très mal à l’aise, il écourte la communication. A la fin de sa présentation, troublé par les applaudissements, Victor esquisse plusieurs courbettes à la japonaise, tente de se rasseoir, loupe sa chaise et se rattrape à une plante verte qu’il entraîne dans sa chute. Maiko l’aide à se relever et lui sourit.

 Séquence n ° 5

Restaurant Hôtel traditionnel/Repas -Corrida

Le soir de son arrivée, Victor est invité dans le restaurant d’un hôtel haut de gamme traditionnel par les gens de l’entreprise japonaise avec laquelle il doit négocier un contrat d’exclusivité pour son robot. Hamlet est assis entre Victor, habillé en kimono et Maiko qui a revêtue elle aussi un kimono traditionnel. Victor ne sait pas comment manger un poisson cru encore vivant qui s’agite dans son assiette. Servi par des geishas, le dîner est très arrosé par les nombreuses tournées de Saké qu’il faut boire par politesse. A la fin du repas, Victor qui ne tient pas très bien l’alcool est complètement saoul. Complètement ivre lui aussi, le PDG de l’entreprise japonaise demande à Victor d’improviser un numéro avec son robot pour représenter la culture européenne.Victor décide de simuler une corrida avec Hamlet qui tient le rôle du toréador esquivant les charges du taureau. Après quelques passes, Victor commence à se prendre au jeu et charge un peu trop vite Hamlet qui l’esquive. Il n’a d’autre recours que de sauter au dessus de la délégation de japonais assis par terre et Victor passe à travers de la cloison en papier. Tout le monde l’applaudit. Maiko lui jette un regard froid.

 Séquence n° 6

Karaoké Hôtel

Plus tard dans la soirée, Victor se retrouve sur la scène à chanter à tue-tête une chanson d’Edith Piaf (la gualante de Saint-Jean). Et bientôt les Japonais reprennent avec lui le refrain : « Sans amour on n’est rien du tout »… Il regarde Maiko qui chante le refrain en le regardant. Puis vient une autre chanson que le PDG a demandé de programmer : « Que je t’aime » de Johnny Hallyday. Victor parvient difficilement à chanter mais quand vient le refrain, les sons ne sortent pas de sa bouche. A ses côtés, Hamlet vocifère « Que je t’aime » d’une voix de crooner.

Séquence n ° 7

Couloir hôtel/Le baiser refusé

Passablement saoul, Victor est ramenée par Maiko dans sa chambre suivi par Hamlet qui marche prudemment quelques pas en arrière en cantant le refrain « en amour on n’est rien du tout ». Elle essaie de le soutenir pour le faire marcher droit. La questionnant sur la « voie des Samouraï » (le Bushidô), Victor exige qu’elle lui fasse visiter un temple bouddhiste dès le lendemain matin. Arrivé devant sa porte, Victor n’arrive pas à ouvrir sa chambre avec sa clef. Maiko lui vient en aide. Dans la chambre, ils tombent lourdement sur le futon. Victor en profite pour tenter d’embrasser Maiko mais elle se dérobe et part se coucher.

Séquence n ° 8

Chambre Victor/La mission

Très agité, Victor explique à Hamlet qu’il est fou amoureux de Maiko mais qu’il ne sait pas comment faire pour la séduire. Hamlet lui propose de lui venir en aide et de sonder Maiko sur sa vision de l’homme idéal. Très enthousiaste, Victor accepte et ils se mettent d’accord pour organiser dès le lendemain un tête à tête entre Hamlet et Maiko.

Séquence n ° 9

Temple Kyoto/promenade

Le lendemain matin Maiko et Victor visitent un temple bouddhiste. Victor est silencieux. Maiko lui parle du japon traditionnel. Il tente de lui demander de parler d’elle sans grand succès. Alors qu’elle renseigne un jeune couple, Victor passe par mégarde sous un portail sacré provoquant la colère d’un groupe de japonais du troisième âge. Maiko vient à sa rescousse et lui explique les raisons de leur colère.

Séquence n ° 10

Restaurant pâtes

Victor a invité Maiko à déjeuner dans un restaurant de pâtes, une des curiosités de l’art culinaire du Japon. Autour d’eux tout le monde fait beaucoup de bruit en mangeant. Victor mange ses pâtes en silence. Devant la mine inquiète de Maiko, il se met à faire comme les japonais, essaie de faire du bruit et manque de s’étouffer avec les pâtes. Il éclabousse la table. Tentant de réparer les dégats avec une serviette, il fait valser une coupelle pleine de sauce qui atterit sur la chemise blanche de Maiko. Contenant sa colère, la jeune japonaise part aux toilettes pour se nettoyer.

Séquence n ° 11

Chambre Victor/le tête à tête Hamlet-Maiko

Tandis que Maiko monte dans la chambre de Victor pour rendre visite à Hamlet, Victor part se détendre aux bains collectifs de l’hôtel. Maiko frappe à la porte. Coiffé d’un large chapeau de paysan japonais, Hamlet l’introduit dans la chambre baignée dans une lumière tamisée. La chaîne hi-fi diffuse une musique d’ambiance très groovy. Il lui offre un bouquet de fleurs conçu selon les règles de l’Ikebana (l’art floral japonais) tout en lui déclamant quelques haikus écrits à son intention… Puis il propose à Maiko de prendre place autour d’une table basse pour lui offrir un thé et commence à lui poser des questions sur elle, sur son attirance pour la France, sur sa peinture, ses gouts, etc. A partir du moment où elle lui confesse son attirance pour Alain Delon, Hamlet se met à réciter quelques répliques du film.

Séquence n° 12

Bains publics/Hôtel

Assis dans un bassin rempli d’eau chaude, Victor se retrouve au milieu d’une bande de japonais à la mine plutôt patibulaire. Deux gardes du corps en costume noir sont postés à l’entrée des bains. Un peu à l’écart, un Sumotori trempe dans l’eau chaude avec un tissu mouillé cachant son visage. En train de lire son lexique amoureux japonais, Victor commence à faire des exercices de prononciation à haute voix en disant en japonais « je t’aime » et « je veux faire l’amour ». Alors qu’il relève la tête, il s’apercoit que les japonais se sont rapprochés et l’écoute avec attention. L’un d’entre eux qui semble être leur chef, vient à côté de Victor et en montrant du doigt les mots du lexique commence à prononcer des expressions plutôt crues. Très amusé, Victor essaie de reprendre les mots après lui. Il sont interrompus par un des gardes du corps qui tend un téléphone portable à son chef. Celui ci dit quelques mots, referme le portable et salue Victor. Sur l’ordre de leur chef, tout le monde se lève et se dirige vers la sortie. Découvrant les corps nus des baigneurs ornés de somptueux tatouages intégraux, Victor comprend qu’il s’agit d’une bande de yakusas. Ayant été perturbé par la sonnerie du téléphone, le Sumotori enlève le tissu humide de son visage. Désormais, ils sont seuls dans les bains. Le Sumotori s’approche de Victor et lui sussure d’une petite voix : « Aishiterou ».

Séquence n° 13

Chambre Victor/la dispute

Victor regagne sa chambre et retrouve Hamlet sur le dos comme un scarabée, clignotant de toutes ses diodes. Le robot lui explique qu’une fois Maiko partie, il s’est pris pour Mikael Jakson et qu’il a lourdement chuté. Victor interroge Hamlet sur les résultas de son rendez-vous avec Maiko. Après s’être fait prier, Hamlet lui dit que Maiko est amoureuse d’Alain Delon au point qu’elle connaît par cœur certaines répliques du film « Le Samouraï ». Un peu honteux, le robot confesse à Victor qu’il lui a fait une déclaration d’amour à laquelle elle n’a pas été insensible. Hamlet lui affirme qu’il n’a aucune chance de séduire Maiko. Devant l’entêtement de Victor, Hamlet commence à s’énerver et le saoule de citations sur les dangers de l’amour. S’ensuit une engueulade au terme de laquelle Victor, excédé, débranche Hamlet, le reprogramme puis l’enferme dans un placard. Puis il se rend dans la salle de bains et avale plusieurs pilules anti-timidité, se regardant dans la glace en prenant des poses de séducteur.

Séquence n° 14

Chambre Victor/Coup de téléphone de sa mère.

Tandis qu’il visionne sur son ordinateur portable le film « Le SamouraΠ», il est interrompu par un coup de téléphone de sa mère. Devant les incessants conseils qu’elle lui donne, il tente de se contenir. Alors qu’il essaie de l’interrompre sans succès, soudain, il explose, injurie sa mère et lui raccroche au nez. Puis il éteint son portable et le jette sur le lit. Se regardant hilare dans un miroir, il sort de sa chambre très satisfait de lui.

Séquence n° 15

Rues Kyoto

Habillé d’un imperméable et d’un Borsalino, Victor sort d’un grand magasin avec un canari daans une cage. Il marche très vite dans la rue en sifflotant pour distraire l’oiseau. Dès qu’il croise une jeune fille, il lui dit un mot en japonais (Aishiterou) déclenchant l’hilarité ou la colère.

Séquence n° 16

Maison parents Maiko

Très essoufflé, il arrive devant la maison de Maiko où elle habite avec ses parents qui sont en train de fêter avec des amis l’anniversaire de la mère de Maiko. Le père qui n’a d’abord pas reconnu Victor éclate d’un fou rire et convie Victor à se joindre à eux. Victor découvre que le père de Maiko est aussi le PDG de l’entreprise avec laquelle il doit signer un contrat. Maiko entraîne Victor dans sa chambre. Il se plante devant un poster d’Alain Delon affiché sur les murs et lui dit Aishiterou (je t’aime en japonais). Maiko rougit, hésite et sort de la chambre. Sur le chemin de la sortie, Victor croise le père de Maiko à qui il demande en anglais une entrevue. Celui-ci l’introduit dans son bureau…

Séquence n° 17

Rues Kyoto

Toujours vêtu de son imperméable et de son borsalino, Victor marche à pas lent dans les rues de Kyoto. Dans un quartier très animé, il rentre dans des bars à la recherche de Maiko. Soudain, il l’apercoit et l’observe à travers la vitre. Très joyeuse, elle est entourée d’un groupe d’amis. Au moment où il s’apprête à rentrer, un jeune homme très beau se rapproche d’elle et la prend par les épaules. Victor reprend sa marche et hèle un taxi.

 Séquence n° 18

Couloir et chambre Hôtel

Dans la chambre, Victor prépare sa valise qu’il peine à refermer. A ses côtés, Hamlet le regarde faire silencieusement. En s’excusant de l’avoir débranché, Victor lui explique qu’ils repartent en France. Au même moment, Maiko marche dans le couloir de l’hôtel et arrive devant la porte de la chambre de Victor restée entrouverte. Elle entend leur conversation. Victor dit qu’il a échoué et que Maiko ne l’aimerait jamais pour ce qu’il est. Il se confesse et lui explique ses états d‘âme : être soi-même, blocages émotionnels, rapports homme machine, etc. Dans le couloir, Maiko repart à pas feutrés.

 Séquence n° 19

Aéroport/ surprise

Dans le hall de l’aéroport, Hamlet est entouré par une foule de japonais qui veulent tous être pris en photo avec lui. Victor intervient, le prend par la main et l’entraîne vers le comptoir d’enregistrement. Pendant qu’il présente son passeport et ses billets d’avion, une main lui tape sur l’épaule. C’est Maiko, une valise et un billet d’avion à la main qui lui sourit. En marchant vers la porte d’embarquement, Maiko lui donne un cours de phonétique en lui expliquant comment bien prononcer Aishiterou.

Avant d’embarquer, Hamlet fait une dernière photo avec un couple de très vieux japonais.

 

 

 

La comédie (point théorique)

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La comédie traite des faiblesses et des limites humaines (jalousie, bêtise, avarice, égoïsme, obsessions, libido, etc.). C’est ce qui fait sa force.

On peut jouer aussi sur les faiblesses d’une société, d’une culture ou d’une morale.

Dans une comédie, il faut donc chercher les faiblesses de vos personnages.

Dans une comédie, la plupart du temps, le personnage principal n’atteint pas son objectif et ne corrige pas ses faiblesses. La jubilation du spectateur est presque proportionnelle à cet échec. Autant on a du mal à accepter son propre échec, autant on se réjouit de l’insuccès de l’autre.

A l’image, les chutes et les accidents (sans gravité) font rire.

La comédie est souvent tragique sur le fond puisqu’elle induit qu’il n’y a pas forcément de solutions.

Ironie dramatique

C’est très important que le spectateur soit en avance sur le personnage. Le scénariste doit susciter l’attente du spectateur en montrant une action (ou un indice) dont on peut supposer qu’il va avoir des conséquences sur le destin d’un personnage.

Le spectateur sait quelque chose que le personnage ne sait pas.

Le spectateur jubile de cette position « supérieure » par rapport au personnage.

Les comédies sont bourrées d’ironie dramatique.

 Hitchcock utilisait ce dispositif pour créer le suspens. En montrant quelqu’un qui dépose subrepticement une bombe dans un lieu, le spectateur va attendre inévitablement son explosion au moment où le personnage principal va pénétrer dans ce lieu.

Le spectateur dispose alors d’une information avant le personnage. Cela suscite une attente qui peut créer du suspens ou du comique selon les cas (exemple du clou dévissé dans Tanguy).

Deux séquences sont nécessaires pour créer cette ironie dramatique :

L’installation (pour donner l’information au spectateur) et l’exploitation (pour faire fonctionner l’effet).

Autre exemple : Cyrano de Bergerac.

Cyrano est amoureux de Roxanne sa cousine. Mais il n’ose pas lui déclarer sa flamme. Il va faire dire par un jeune homme des poèmes qu’il a écrit lui-même. Elle ne découvrira que très tard (sur son lit de mort) que Cyrano est l’auteur de ces lettres.

Ce dispositif jouant sur la connaissance qu’avait le spectateur avant le personnage (Roxanne) peut déboucher sur des scènes fortes en émotion ou en comique.

 

Dans certaines comédies, le héros peut aussi se moquer de lui-même et de ses propres faiblesses.

La comédie traite à la fois du ridicule des autres mais aussi de soi.

Plutôt que de dénoncer, la comédie met à jour le ridicule (ex. le Dictateur de Chaplin) mais sans faire de morale ou de discours.

 

Dans la comédie, les personnages croient complètement à ce qu’ils font et n’ont aucun recul sur eux-même (cf. le facteur dans Jour de fêtes de Jacques Tati ou les films de Buster Keaton).Ils sont souvent obsessionnels.

Les personnages deviennent alors attachants par leur ridicule.

 

La comédie exagère tout. C’est son essence même à la base du contrat implicite passé avec le spectateur. C’est cette exagération poussée à son paroxysme qui nous fait rire (cf. To be or not to be de Lubitsch).

Il faut éviter le réalisme. Le spectateur ne doit pas savoir où on l’emmène (cf. The Party avec Peter Sellers) On ne cherche pas à représenter le quotidien mais au contraire à s’en affranchir pour faire exploser le « réel ».

 

La comédie doit provoquer des décalages.

La comédie peut jouer sur un comique de caractère ou sur un comique de situation.

 

N’ayez pas peur de commencer les scènes en plein dans le feu de l’action. Pas besoin de préliminaires pour expliquer (sauf pour l’ironie dramatique). Montrez-nous les explosions et les étincelles du feu d’artifice !!! Allez rapidement dans l’exagération.