« Qu’est-ce qu’il ne me dit pas de ce qu’il est en train de me dire » ?
Comme d’habitude, je demande à A ce qu’il y a de nouveau depuis notre dernière conversation…
Il revient sur les notions de temps et d’espace… : « Le temps est pour moi une déperdition constante de matière (image du sac de grain). La fonction de mon journal est de ralentir l’hémorragie… C’est aussi la mission d’une œuvre d’art que d’arrêter le temps… L’espace ? ; j’ai toujours eu du goût pour les femmes étrangères. Peut-être fallait-il aller chercher loin l’objet de mon désir comme pour déplacer l’espace ? Venant d’Abidjan où j’avais vécu mon enfance, les françaises me semblaient exotiques. L’éloignement de l’espace pourrait-il permettre un rapprochement dans le temps ? Sortir avec une étrangère pourrait être alors compris comme une tentative de ralentir le temps, peut-être une façon de réparer la perte de ma mère, premier objet de mon désir… ? ».
Je l’interroge sur le devenir de la petite histoire qu’il a accepté d’écrire. Il en a déjà écrit 3 pages (manuscrites) qu’il va me lire plus tard : « C’est facile de dessiner un début mais il me manque la fin »… « La fin c’est la mort de qq chose »…
Nous nous mettons ensuite d’accord pour se donner un nouveau cadre de travail avec de 3 à 5 conversations supplémentaires exclusivement consacrées à son roman.
Pour la première fois, je le questionne directement sur le contenu. Il me décrit la structure narrative divisée en 3 parties dont un préambule (qui pourrait prendre de l’ampleur). une partie centrale (partiellement écrite) et une fin ouverte…
Son ambition ? Rendre compte d’un monde révolu mais auquel il est attaché affectivement… Apporter différents axes de réflexion à l’héritage laissé par cette époque.
Je le questionne ensuite sur son personnage principal (le narrateur) et les personnages secondaires notamment féminins (les plus nombreux…).
Nous parlons ensuite de son titre (provisoire ?) et listons les questions demeurées en suspens (faut-il ou non nommer les personnages et les lieux, etc… ?).
Sixième conversation
Depuis notre dernière séance, A a écrit la petite histoire demandée… « Je suis un gars loyal, j’ai obéis au contrat… Peut-être aussi suis-je en recherche d’assentiment (de sentiment ?). En tout cas, j’ai réussi à écrire facilement grâce à cet aiguillon. Cette fois, je suis passé au traitement de texte… que j’ai trouvé finalement plutôt agréable et qui permet un retour à l’objectivité, à la différence de l’écriture manuscrite dont la calligraphie personnelle montre bien qu’on ne s’adresse qu’à soi ».
Pour préciser le nouveau cadre de notre travail, je lui propose (sur les conseils de la coach qui me supervise) d’espacer nos conversations de façon à laisser de l’espace à l’écriture. A est d’accord et accepte aussi de lire à haute voix un chapitre de son roman (déjà écrit) lors d’une prochaine séance. Il est aussi Ok pour m’envoyer par mail des nouvelles parties de textes fraîchement écrites.
Je lui propose de dresser un bilan de nos 5 premières conversations… Il dit : « J’étais seul, je ne le suis plus avec toi. Tu as su créer un cadre rassurant où l’on ne fonctionne pas à l’affectivité… Il y a moins de risques d’attentes déçues »…
A lit à haute voix plusieurs parties de la petite histoire qu’il a écrite. Il s’engage à lire la suite (déjà écrite mais pas tapée) et la fin (pas encore terminée mais déjà réfléchie) la prochaine fois.
Après le départ de A, je réfléchis et prends quelques notes. La petite histoire a fonctionné efficacement comme métaphore « externalisante ». On y retrouve sa pathologie (« une affreuse pression qui pendant des mois avait provoqué dans sa tête le sentiment angoissant d’être prisonnier »), un des freins identifié et choisi comme personnage principal (Mr Timide) et des figures tutélaires (ses grands morts inhibants) non nommées mais présentes dans le ciel (Balzac, Flaubert, Marguerite Duras…). Selon lui, « Dérobade » serait présente et difractée (à la manière de Satan) dans plusieurs personnages…
C’est un conte écrit avec un langage précis, presque précieux. A dit avoir fait le choix de cette forme pour la liberté et l’universalité qu’elle permet.
Je relis la partie de l’histoire laissée sur ma table et souligne quelques mots : « Ah non pas du travail mais de la création »… (Opposition plaisir/souffrance ?).
« Cette fois, je dois impérativement me consacrer à ma tâche » dit son personnage principal !
Septième conversation
A finit de lire le conte qu’il a terminé à l’arrache… : « Parfois je me réveille à 4 h du matin et je note les idées de la journée »
D’évidence, ce petit conte a fonctionné comme une allégorie du « grand récit » (son roman)… Nous faisons le parallèle entre le micro et le macro.
A dit qu’il n’éprouve nullement l’angoisse de la page blanche ; Il crée par ajout. Pour le roman, il compte étoffer la partie centrale déjà écrite et rajouter une intro.
Nous évoquons à nouveau Roland Barthes, figure tutélaire non soutenante (impuissance à écrire son propre roman).
Nous nous donnons des objectifs pour la prochaine fois : lecture d’un chapitre important, écriture du synopsis et établissement d’un planning intégrant le principe d’une conversation toutes les trois semaines.
Nous revenons ensuite sur le roman : sa logique de symphonie sans intrigue, son genre, son volume et ses registres.
Nous nous arrêtons ensuite sur « le noyau dur » (point central divisé en plusieurs chapitres) et évoquons les questions sur la ligne chronologique.
Huitième conversation
A lit un chapitre de son roman… Il m’a également envoyé le synopsis que nous détaillons ensemble… Nous nous attardons ensuite sur l’établissement d’un planning d’écriture.
Au terme de cette conversation, A accepte de poursuivre notre travail. Notre collaboration intégrera une conversation (rémunérée) toutes les trois semaines et des échanges par mail selon ses besoins.
